– CIPD+25 : du Caire à Nairobi, quel héritage, quelles ambitions pour le futur ?

– CIPD+25 : du Caire à Nairobi, quel héritage, quelles ambitions pour le futur ?

Du 12 au 14 novembre, une délégation d’Equipop participe au sommet de Nairobi – CIPD+25 – célébrant le 25ème anniversaire de la Conférence Internationale sur la Population et le Développement. C’est l’occasion de rappeler le tournant que constitua la conférence du Caire en 1994, mais surtout de faire le point sur ce que l’héritage du Caire signifie pour les années à venir.

Le Caire, un tournant décisif : la personne au centre des approches

La Conférence Internationale sur la Population et le Développement (CIPD), organisée au Caire en 1994, a marqué un changement de paradigme au sein des politiques de développement. Jusqu’alors, l’approche démographique était la norme. Au Caire, l’objectif a été de sortir de ce cadre et de se recentrer sur les droits des personnes et l’amélioration de leurs conditions de vie, notamment celles des femmes. C’est dans cet esprit qu’Equipop avait été créée, quelques mois plus tôt, pour prendre part à la délégation française au Caire, menée par Simone Veil.

Le programme d’action du Caire a représenté un véritable tournant dans la reconnaissance de la santé et des droits reproductifs au niveau international. Son contenu ambitieux a été adopté par l’ensemble des pays membres des Nations unies – et c’est aussi en cela que ce fut un moment décisif. 

La santé de la reproduction reconnue comme un droit humain

Au total, 200 recommandations ont été inscrites dans le programme d’action en faveur d’améliorations en termes de santé, de développement et de bien-être social. Une échéance de 20 ans avait été fixée. Ce programme donnait la première définition internationale de la santé de la reproduction et consacrait un chapitre entier à cette thématique (le chapitre VII). Ce dernier a également permis de reconnaître pour la première fois les droits reproductifs en tant que droits humains et, à l’instar d’autres droits, comme une condition essentielle du développement.

Un an plus tard, le Programme d’action de Beijing (4ème Conférence Mondiale sur les Femmes) réaffirmait les principes du Caire. Il inscrivait une nouvelle fois l’amélioration des conditions de vie des femmes et plus globalement l’égalité entre les sexes comme piliers des droits humains et fondements de la justice sociale. Et il franchissait un palier par rapport au Caire, notamment avec l’utilisation de la formule “Les droits fondamentaux des femmes comprennent le droit d’être maîtresses de leur sexualité”. 

Où en est-on aujourd’hui ? Des concepts réaffirmés, mais pas étendus 

Depuis 1995, deux cadres plus larges et consensuels se sont imposés : les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD), valables entre 2000 et 2015, puis les Objectifs de Développement Durable (ODD). Que disent les textes en vigueur jusqu’en 2030 ?

→ ODD 3.7 “D’ici à 2030, assurer l’accès de tous à des services de soins de santé sexuelle et procréative, y compris à des fins de planification familiale, d’information et d’éducation, et la prise en compte de la santé procréative dans les stratégies et programmes nationaux”.

→ ODD 5.6 “Assurer l’accès de tous aux soins de santé sexuelle et procréative et faire en sorte que chacun puisse exercer ses droits en matière de procréation, ainsi qu’il a été décidé dans le Programme d’action de la Conférence internationale sur la population et le développement et le Programme d’action de Beijing et les documents finaux des conférences d’examen qui ont suivi

On pourrait se réjouir que les questions de santé sexuelle soient citées deux fois. Les principes du Caire et Beijing sont ainsi clairement réaffirmés. Cependant, en 2015, les Etats conservateurs ont empêché toute amélioration des concepts établis au Caire, et le compromis trouvé a été d’effectuer cette répétition afin d’éviter de mentionner les “droits sexuels”, qui n’apparaissaient pas dans le programme d’action du Caire (il se limitait donc aux droits reproductifs et à la santé sexuelle). 

Et, de fait, à l’heure actuelle, aucun texte internationalement agréé ne reconnaît les droits sexuels, qui comprennent notamment le droit à l’avortement. C’est ce même souci de compromis qui rend les formulations des cibles 3.7 et 5.6 aussi alambiquées, quand d’autres sont concises (ODD 3.3: “éradiquer le sida d’ici 2030”). Plutôt écrire des cibles longues de quatre lignes que mentionner l’accès universel aux DSSR, les droits et la santé sexuels et reproductifs (qui font par exemple l’objectif d’une stratégie spécifique du Ministère des Affaires étrangères français depuis 2016) : voilà ce qui a sous-tendu les négociations des ODD.

Par conséquent, c’est parce que les textes du Caire et de Beijing n’ont pas encore été dépassés qu’ils demeurent pertinents aujourd’hui. On peut le regretter, parce que cela veut dire qu’en 2030, quand les Etats des Nations unies feront un bilan pour déterminer si les Objectifs de Développement Durable ont été atteints, seront prises pour bases des recommandations édictées… 36 ans plus tôt !

Moderniser l’héritage du Caire 

Une conclusion s’impose donc : il s’agit, pour le futur proche, de s’appuyer sur l’héritage du Caire, mais de ne pas s’en contenter. Pour des organisations comme Equipop et ses partenaires, cela signifiera de conduire une double approche.

D’une part, il faut continuer sans relâche à se mobiliser pour l’inclusion des DSSR dans leur forme complète dans les standards internationaux, c’est-à-dire ajouter les droits sexuels à la formule actuelle, “la santé sexuelle et reproductive et les droits reproductifs”. C’est cela, “l’esprit du Caire”, adapté au contexte de 2019. 

D’autre part, en parallèle, et sans attendre que ce tournant se concrétise, il faut activer les principaux leviers en matière de programmes et de plaidoyer pour faire avancer concrètement les DSSR des personnes partout dans le monde. Et s’il fallait n’en citer qu’un, l’éducation complète à la sexualité paraît être le plus crucial. 

On l’aura compris, si les conférences du Caire et de Beijing ont engendré des progrès notables dans de nombreux domaines liés aux droits des femmes et des filles, le chemin restant à parcourir est énorme. C’est pour cette raison que les célébrations de leur 25ème anniversaire en 2019 et 2020 doivent être tournées vers l’avenir, et vers l’action. C’est dans cette optique qu’Equipop est présente à Nairobi, et oeuvrera dans la perspective du Forum Génération Egalité (Beijing+25) à Paris en juillet 2020.