– “Réarmement démographique” d’Emmanuel Macron : nos ovaires n’iront pas en guerre

– “Réarmement démographique” d’Emmanuel Macron : nos ovaires n’iront pas en guerre

Lors de sa conférence de presse du 16 janvier, Emmanuel Macron a présenté les mesures du gouvernement pour son “réarmement démographique”. En empruntant des éléments de langage aux discours guerriers et ultra-conservateurs, le Président a suscité l’incompréhension et l’indignation de nombreuses activistes et associations féministes. Equipop se joint à ces réactions : les corps des femmes ne doivent pas être instrumentalisés au service de la nation ou d’un effort de guerre, au sens propre ou figuré. Ce sont les droits de chacun·e et la recherche de l’égalité de genre qui doivent motiver l’action publique.

Un discours anti-féministe qui fait écho aux chefs d’Etats les plus conservateurs 

Comment ne pas voir dans les mots d’Emmanuel Macron une instrumentalisation du corps des femmes, et par la même occasion des enfants – pour les retraites, pour l’économie… pour faire la guerre ? Encourager les femmes à porter des enfants pour contribuer à un “effort de guerre” revient non seulement à les renvoyer à une fonction procréatrice, mais aussi à leur ôter toute intentionnalité dans le fait d’avoir des enfants, puisque cette action serait tournée vers l’intérêt de la nation et non le leur. 

Cette sémantique est d’autant plus préoccupante qu’elle emprunte des éléments de langage aux chefs d’Etats les plus conservateurs, en Hongrie notamment. C’est également un lexique mobilisé par les groupes masculinistes et les mouvements d’extrême-droite, selon lesquels il faudrait “repeupler” l’Occident, de préférence d’hommes, et blancs, face à un prétendu “déclin civilisationnel” (voir à ce sujet le rapport Equipop sur les discours masculinistes).

Emmanuel Macron ne maîtrise a priori pas les grilles d’analyses féministes, mais il ne peut pas ignorer le fait qu’il utilise ces termes dans un contexte où le concept raciste de “grand remplacement” est monté en visibilité en France. 

 

En plus d’être problématiques par principe, ce type de politiques publiques centrées sur l’objectif affiché de “relancer la natalité” ne fonctionne pas. Des pays comme le Japon ou la Pologne les ont expérimentées, en vain. 

L’infertilité est en effet un problème de santé publique. Mais il est trop longtemps réduit à “l’infertilité des femmes”, alors que des troubles de la production de spermatozoïdes peuvent, par exemple, également être en cause. Il existe bien sûr des causes médicales bien connues, mais qui continuent d’être sous-diagnostiques et mal traitées, précisément parce qu’elles concernent des femmes, comme l’endométriose, le syndrome des ovaires polykystiques. Des facteurs environnementaux, polluants, pesticides, perturbateurs endocriniens sont également pointés du doigt.

Le poids des inégalités sociales et de genre

 

Pour autant, la baisse de la natalité ne peut être imputée qu’à des causes médicales. De nombreux facteurs entrent en jeu, d’une part dans le désir d’enfant et d’autre part dans le fait de concrétiser ce désir. Nous sommes aujourd’hui face à un paradoxe : jamais autant de personnes n’ont pu avoir, en théorie, un projet de parentalité (ouverture de la PMA aux couples de lesbiennes et aux femmes hétérosexuelles, congélation des ovocytes, etc.) et pourtant la natalité baisse. Il faut donc chercher des raisons ailleurs : sur les conditions de réalisation de ce projet, les politiques de petite enfance, la non-prise en compte de la crise écologique, les délais d’attente dans les parcours de PMA, les discriminations et la stigmatisation persistantes envers les couples homosexuels et les femmes célibataires qui souhaitent mener à bien un projet parental, bref toutes les personnes qui ne rentrent pas dans un parcours classique de famille hétéronormée. 

Ainsi les pays qui affichent des taux de fécondité plus élevés comme en Europe du Nord sont aussi ceux où les congés parentaux sont les plus longs et les mieux rémunérés et où les politiques publiques en matière de conciliation vie professionnelle – vie privée et investissement des pères sont les plus avancées. Le “congé de naissance” annoncé par Emmanuel Macron va à ce titre dans le bon sens, mais son raccourcissement pourrait mettre en difficulté des couples qui ne trouveraient pas de places d’accueil pour leur jeune enfant dans la durée impartie, creusant ainsi les inégalités.

Une approche pluridisciplianire – et féministe – est nécessaire 

Surtout, est-ce que la baisse de la natalité est un problème en soi ? Doit-elle guider l’action publique ? Ce qui doit motiver la prise de décision politique, ce sont les droits des individus. Plutôt qu’un “plan pour relancer la natalité”, il faut se donner les moyens de mettre en oeuvre les objectifs fixés en matière de droits et santé sexuels et reproductifs, et impulser des politiques publiques volontaristes en matière d’égalité femmes-hommes. L’objectif n’étant pas d’augmenter la natalité, mais de donner aux individus les conditions nécessaires pour se projeter dans un avenir stable, juste et sain, et faire leur choix. 

Le rapport pour lutter contre l’infertilité remis au gouvernement a été mené quasiment exclusivement par des médecins. Les recommandations proposées n’incluent pas de mesures sociales, soulignant la nécessité d’une approche pluridisciplinaire sur ces sujets, qui réunisse médecins, chercheuses féministes, associations de jeunes, de femmes et de parents. 

Renforcer l’information des jeunes en matière de santé sexuelle et reproductive, c’est ce que demandent les associations féministes françaises depuis des dizaines d’années. 

En conclusion : des droits sexuels et reproductifs pour tou·te·s !

Ce n’est pas la première fois que les enjeux démographiques font partie des éléments de langage d’Emmanuel Macron. Le président avait déjà évoqué cette question en 2017, en des termes paternalistes qui avaient provoqué l’indignation de nombreuses féministes.

Depuis, il semblait que les enjeux étaient un peu mieux compris. Le ministère des affaires étrangères avait adopté une approche plus juste, basée sur les droits humains, conduisant au lancement cette année d’une nouvelle stratégie internationale en matière de droits et santé sexuels et reproductifs. 

La résurgence de ce sujet dans le débat national doit être mise au regard de l’action de la France à l’international. De la même manière que l’action du gouvernement ne doit pas être uniquement guidée par une relance de la natalité en France, cette dernière ne doit pas poursuivre pour objectif à l’international la limitation du taux de fécondité dans les pays “des Suds”. 

Il faut une approche globale des DSSR, comme un continuum de droits, soins et services en matière de santé sexuelle et reproductive, accompagnée de mesures de protection sociale et de politiques ambitieuses en matière d’égalité femmes-hommes.

* Crédit illustration : Olga Mrozek for IPPF x Fine Acts (modification des couleurs, du texte et de l’organisation du visuel)