– “Face aux mouvements anti-droits, nos résistances collectives féministes” – Sororités francophones #4

– “Face aux mouvements anti-droits, nos résistances collectives féministes” – Sororités francophones #4

L’actualité internationale, notamment aux États-Unis, a montré combien les avancées en matière de droits humains, et notamment de droits des femmes, sont fragiles. La révocation de l’arrêt Roe V. Wade vient marquer une victoire pour les mouvements conservateurs anti-droits. Leur influence se développe à travers le globe et toutes les militantes féministes sont aujourd’hui confronté·e·s à leurs actions coordonnées. Les résistances collectives s’organisent !

Le Réseau des jeunes féministes d’Afrique de l’Ouest et Equipop organisaient, le 15 juin, la quatrième rencontre du cycle Sororités francophones (revoir l’intégralité de la rencontre en vidéo). Cette rencontre avait pour objectif de mieux cerner la réalité des mouvements anti-droits, anti-choix et de réfléchir aux parades pour contrer ces mouvements qui affectent le travail des militantes féministes sur le terrain et au niveau international.  

La remise en cause de l’arrêt Roe V. Wade aux États-Unis a été au cœur des échanges. Laurence Meyer, de Digital Freedom Fund, a expliqué comment les États conservateurs ont tenté de renverser cet arrêt en mettant en place des stratégies contentieuses coordonnées pour atteindre la Cour suprême (lire l’analyse actualisée d’Equipop).

Acteurs, stratégies et modes d’action

Cette actualité démontre l’efficacité des mouvements anti-droits. Ils travaillent à déconstruire l’universalité des droits humains en promouvant une vision du monde hétéronormative et dénonçant “l’idéologie du genre”. Leur théorie défend que les mouvements féministes et LGBTQIA+ ont pour ambition de bouleverser la vision de la société traditionnelle. Jeanne Hefez, d’Ipas, note d’ailleurs une évolution parallèle entre la reconnaissance des droits sexuels et reproductifs et la montée des mouvements anti-droits. 

 

Ces mouvements anti-droits comptent différents types d’acteurs : organismes religieux, ONG conservatrices, entreprises… Certains peuvent être en lien avec les gouvernements, des médias alliés et font partie d’associations locales. Ils utilisent le vocabulaire des droits humains pour s’y attaquer et pour mieux les discréditer en prônant un plaidoyer politique anti-avortement, anti-LGBTQIA+. La mise en réseau de ces mouvements leur permet d’obtenir des financements conséquents pour mettre en place leurs actions.

Montée des mouvements anti-droits au Sénégal 

Amy Sakho, de Planned Parenthood Global, a évoqué la situation au Sénégal, où elle intervient en tant que juriste pour obtenir l’autorisation de l’avortement médicalisé en cas de viol et/ou d’inceste dans le respect du protocole de Maputo. Les mouvements anti-droits sont presque tous d’origine religieuse et oeuvrent contre l’avortement et contre les féministes en présentant l’autorisation de l’avortement médicalisé comme contraire à l’islam. “Ils ont réussi à enrôler et à faire croire à la majeure partie des Sénégalais que les féministes ne font que dérouler un agenda occidental ”, explique Amy Sakho.

Le combat de l’information

Les mouvements anti-droits développent d’importantes campagnes de communication, autant sur des espaces physiques qu’en ligne. Laurence Meyer souligne que l’accès à l’information pour avoir un avortement le plus sécurisé possible est aussi important que l’accès à l’avortement lui-même. La question de la protection des données est également très importante : notamment dans les applications liées aux à la santé reproductive et au corps (traçage menstruel) ou d’autres plateformes en ligne. “ Il y a une monétisation de la restriction des droits des femmes, ajoute Laurence Meyer. Les mouvements anti-droits criminalisent nos corps, nos droits, notre accès à la santé et à l’information. ”

Les militantes féministes en premières lignes

Pour contrer ces mouvements anti-droits, les militantes féministes sont confrontées à de nombreuses difficultés.

  • Difficultés techniques, d’abord. “ Attaquer Google, Twitter c’est compliqué ”, explique Laurence Meyer. D’autant qu’il faut trouver la bonne juridiction et les preuves pour démontrer qu’un mouvement anti-droits porte atteinte à un droit humain.
  • Difficultés en termes de ressources, ensuite. Les militantes n’ont pas toutes les ressources nécessaires et font face à un lobbying “ légal au niveau des lois, des réglementations sanitaires, etc…”, comme le dit Jeanne Hefez. 

Difficultés en termes d’acteurs, enfin. Les mouvements anti-droits s’établissent à plusieurs niveaux. Et il peut être difficile de connaître le positionnement d’un gouvernement ne faisant aucun acte pour que les militantes obtiennent ce qu’elles réclament. Pour exemple, Amy Sakho indique que le gouvernement sénégalais ne fait rien pour changer les choses malgré les nombreuses actions des militantes, “ quand il s’agit du corps de la femme c’est difficile. ”

Contrer les mouvements anti-droits

Digital Fund of Freedom développe des projets pour contrer ces mouvements anti-droits dans l’espace numérique. “ Face à ces mouvements, la stratégie c’est de construire des coalitions durables et transversales qui répondent à la technicité à la fois féministe et juridique. L’objectif est de créer des rapports de forces qui soient efficaces”, souligne Laurence Meyer. 

 

Amy Sakho précise qu’au Sénégal,  une coalition de leaders religieux a été créé pour faire face aux groupex religieux anti-avortement. Avec le réseau Islam et Populations les militantes et juristes sénégalaises ont apportéun argumentaire religieux qui donne des éclairages de l’Islam en faveur du droit à l’avortement en cas de viol et/ou inceste. 

Enfin, pour réussir à les contrer il faut analyser leurs financements, leurs modes opératoires, leurs objectifs pour que “ nous [les militantes] soyons dans l’anticipation et non dans la réaction » dit Jeanne Hefez. “Notre action est cyclique, il n’y a pas d’acquis qui ne soit pas menacé.” Il faut continuer à encourager les espaces de partage de savoirs, de stratégies et également assurer la sécurité des organisations et des militantes.

Amy Sakho est chargée de programme plaidoyer pays de Planned Parenthood Global. Elle est également juriste, membre de l’Association des juristes Sénégalaises​​, et a été la coordonnatrice du comité de plaidoyer pour l’accès à l’avortement médicalisé en cas de viol ou inceste au Sénégal. 

 

Jeanne Hefez est conseillère en plaidoyer chez IPAS. Elle a travaillé en Afrique du Sud, en Afrique francophone et aux États-Unis et elle est engagée dans le domaine de la promotion des droits et la santé sexuels et reproductifs

 

Laurence Meyer est responsable de la justice sociale et raciale au Digital Freedom Fund. Elle est juriste et travaille sur la notion de race dans le droit.

Merci à l’AFD et aux Affaires Mondiales Canada, qui soutiennent cette activité dans le cadre du projet « Jeunes Féministes en Afrique de l’Ouest ».