– Le legs de Françoise Héritier pour le combat des droits des femmes

– Le legs de Françoise Héritier pour le combat des droits des femmes

Françoise Héritier, une des plus grandes figures intellectuelles de notre époque, est morte mercredi 15 novembre à l’âge de 84 ans. Sa pensée féconde articulait une fine compréhension des sociétés africaines et des fondements anthropologiques de l’inégalité entre les sexes. A travers sa participation au conseil scientifique d’Equilibres & Populations et, bien sûr, à travers les ouvrages qu’elle a publiés et qui se sont imposés comme des références, elle a fortement nourri les réflexions et le positionnement de l’ONG.

Anthropologue dans la cité

L’honnêteté intellectuelle et la pensée en actes constituaient deux traits remarquables de la personnalité de Françoise Héritier. Anthropologue de renom, elle a passé ses premières années de terrain en Afrique de l’Ouest, auprès des Samo du Burkina Faso. Professeure honoraire au Collège de France, où elle a succédé à Claude Lévi-Strauss, elle dirigea pendant seize ans le Laboratoire d’anthropologie sociale et y inaugura la chaire « d’étude comparée des sociétés africaines ». Au fil des ans, elle avait décidé d’orienter son séminaire sur l’engagement de l’anthropologue dans la cité. Mue par cette volonté de participer à la construction du monde dans lequel elle vivait, elle a apporté sa précieuse contribution à de nombreux combats. Elle a ainsi présidé le Conseil National du sida, et a été membre du comité consultatif d’éthique pour les sciences de la vie, du comité d’éthique pour les sciences au CNRS, du Haut-Conseil de la francophonie, du Haut-Conseil de la population et de la famille, de l’Académie universelle des Cultures, ou encore du Conseil National sur le Handicap. Françoise Héritier s’est aussi exprimée tout au long de sa carrière sur de nombreux sujets de société, tels que le Pacs, la parité, le port du voile, l’accouchement sous X, l’adoption, le mariage homosexuel. La semaine dernière encore, sur France 5, elle intervenait dans le débat public pour soutenir la libération de la parole des femmes agressées et/ou harcelées. Il faut donner à entendre la parole des victimes et faire changer la honte de camp, aimait-elle à rappeler.

Penser les inégalités femmes-hommes

Au cœur de la pensée de Françoise Héritier se trouve le concept novateur de « valence différentielle des sexes », fondé sur le constat que la distinction entre féminin et masculin est universelle et que, partout, de tout temps et en tout lieu, le masculin est considéré comme supérieur au féminin. Aux origines de ce système symbolique inégalitaire : la terreur du mâle Homo sapiens devant le fait que les femelles de son espèce pouvaient donner naissance à des hommes, donc produire du différent. La domination masculine constitue alors une réponse universelle, un « invariant anthropologique », un « butoir de la pensée ».

Les leviers du changement : travailler sur les normes sociales et favoriser l’autonomie des femmes

Si Françoise Héritier était convaincue que les inégalités femmes-hommes étaient universelles, elle était tout autant persuadée que la situation pouvait changer. Il s’agissait là d’un construit social pouvant et devant être déconstruit. Et pour cela, deux pistes restent à creuser simultanément.

Première piste : changer les mentalités. Pour la chercheuse, il était important d’agir sur le cadre politico-juridique mais encore davantage de promouvoir la communication sociale. Favoriser l’accès aux informations justes, susciter le dialogue, donner à voir d’autres modèles de comportements : autant de leviers à actionner pour changer les mentalités et avancer vers l’égalité femmes-hommes. Tous les vecteurs de communication devaient être utilisés de manière complémentaire pour déconstruire les stéréotypes : éducation à l’école dès le plus jeune âge, mobilisation des journalistes, utilisation des séries télévisées ou du théâtre, causeries à l’ombre du baobab, dans les quartiers ou au sein des conseils d’administration.

Deuxième piste : favoriser l’autonomie des femmes. Et en la matière, la contraception représentait pour elle un levier essentiel parce qu’elle agit au cœur même où la domination s’est produite : « Grâce à la contraception, la femme devient maîtresse de son corps et n’est plus considérée comme une simple ressource ; elle use de son libre arbitre en matière de fécondité, y compris dans le choix du conjoint, le choix du nombre d’enfants qu’elle souhaite et celui du moment où elle souhaite les avoir« .

Dans une interview donnée à Mediapart en février 2016, Françoise Héritier répondait ainsi à la question « Quelle appréciation portez-vous aujourd’hui sur l’évolution de la situation des femmes ? » : « Cette question que vous me posez arrive à un moment où, avec la montée en flèches des fondamentalismes de tous poils, et avec le renouveau des manifestations de cette domination masculine, je suis moins optimiste que par le passé. L’objectif me paraît encore lointain alors qu’il m’a semblé être à portée de la main, au moins dans les pays développés« .

Equilibres & Populations et ses partenaires prendront les mots de Françoise Héritier comme une invitation à redoubler d’efforts dans les années à venir, en continuant à creuser les pistes qu’elle a tracées pour faire avancer la cause des femmes dans le monde.

Photographie : Françoise Héritier • Crédits : Yannick Coupannec / Leemage – AFP – Sur le site de France Culture