SF#10 – Droit à l’avortement : approches féministes et intersectionnelles
Le cycle de réflexions Sororités Francophones a récemment organisé sa dixième édition sur le thème du Droit à l’avortement : approches féministes et intersectionnelles.
Ce webinaire, coanimé par Elise Fouillet d’Equipop et Salematou Baldé, militante féministe ivoirienne, a réuni trois intervenantes engagées:
– Johanna-Soraya Benamrouche, militante féministe postcoloniale et cofondatrice de l’association Féministes contre le Cyberharcèlement
– Nafissate Hounkpatin, sage-femme féministe et fondatrice d’Iléwa au Bénin
– Pauline Diaz, spécialiste des droits sexuels et reproductifs à Women First Digital.
Issues de différentes régions, ces intervenantes ont enrichi et permis de croiser leurs regards et leurs expériences sur cette question fondamentale. Chacune apportant une perspective unique, leurs échanges ont mis en lumière les défis et les avancées sur les enjeux liés à l’accès à l’avortement.
Une note de cadrage sur la situation en Afrique
Salimatou Balde a d’abord rappelé l’urgence de la situation : « En Côte d’Ivoire, 18% des décès maternels sont liés à l’avortement à risque, selon une étude menée entre 2018 et 2020. » Pour elle, réduire le nombre d’avortements non médicalisés permettrait de faire baisser considérablement la mortalité maternelle dans le pays.
Une approche féministe indispensable
En introduction du webinaire, une affirmation forte : « Aujourd’hui, si nous sommes là, c’est parce que nous reconnaissons collectivement que nous sommes sous un système de domination qui veut contrôler notre corps contre notre propre gré. »
Cette déclaration a été soutenue par Nafissate, qui a souligné l’importance d’une approche féministe face aux systèmes de domination qui contrôlent les corps des femmes. Elle a déclaré : « Les approches classiques sont souvent instrumentalisées par un système d’oppression qui ne laisse pas de place au pouvoir des femmes sur leur propre corps. » En revanche, une approche féministe vise à redonner ce pouvoir aux femmes, en reconnaissant les différentes couches d’oppression qu’elles subissent, notamment en raison de leur classe sociale, de leur race ou de leur situation géographique.
Pauline a rejoint ce point de vue et a ajouté que l’approche féministe « permet de reconnaître les spécificités des expériences vécues par les femmes, notamment celles issues de milieux marginalisés ». Elle a insisté sur le fait que « l’accès à l’avortement sécurisé ne doit pas être vu uniquement comme une question de santé publique, mais comme une question d’autonomie et de droits humains ». Cela souligne l’importance d’une vision holistique qui inclut les dimensions sociales et politiques du droit à l’avortement. Elle a également mentionné que la stigmatisation sociale autour de l’avortement reste un défi majeur, ce qui rend l’éducation et l’information essentielles pour changer les mentalités.
Johanna a également souligné l’importance de l’intersectionnalité. Elle a déclaré que « chaque être humain est défini par de multiples identités qui interagissent pour produire des formes spécifiques d’oppression ». Cette approche permet de prendre en compte les réalités diverses des femmes, notamment celles issues de minorités ou vivant dans des contextes socio-économiques difficiles.
Les luttes intersectionnelles
Johanna a apporté une dimension supplémentaire en liant le droit à l’avortement à une lutte plus large pour les droits humains. Elle a affirmé : « Le droit à disposer de son corps est un droit humain fondamental qui doit être respecté pour toutes les personnes, indépendamment de leur identité de genre. » En tant que militante féministe postcoloniale, Johanna a insisté sur la nécessité de considérer les luttes pour l’avortement dans un contexte plus vaste de justice sociale et d’égalité. Elle a évoqué les dangers des mouvements anti-droits qui cherchent à restreindre ces libertés, affirmant que « contrôler les corps et les sexualités est un symptôme précoce de l’autoritarisme ». Cette perspective met en exergue l’importance de la solidarité entre les luttes féministes et celles des autres mouvements sociaux.
Les réalités sur le terrain
Pauline Diaz a partagé des témoignages poignants sur les réalités vécues par les femmes cherchant à avorter. Elle a mis en avant les obstacles concrets, tels que « la stigmatisation sociale et le manque d’accès à des informations fiables ». Selon elle, même dans les pays où l’avortement est légal, les femmes font face à des défis tels que le coût des procédures et l’opposition de groupes conservateurs. « Il est crucial de sensibiliser et d’éduquer pour que chaque femme puisse exercer son droit à l’avortement sans crainte », a-t-elle insisté.
L’importance de l’accès à l’information
Pauline a ensuite élargi la discussion en abordant le rôle essentiel de l’information dans l’accès à l’avortement sécurisé. Elle a déclaré : « L’accès à des informations précises sur l’IVG est fondamental pour permettre aux femmes de faire des choix éclairés. » En tant que responsable des partenariats chez Women First Digital, elle a expliqué comment les plateformes numériques pouvaient servir de ressources vitales pour les femmes en quête d’informations sur les méthodes d’avortement. Pauline a également souligné que « la stigmatisation et le manque d’éducation sexuelle sont des barrières majeures qui empêchent les femmes d’accéder à leurs droits reproductifs ». Cette mise en lumière des obstacles à l’information renforce l’idée que l’éducation est un outil puissant dans la lutte pour les droits des femmes.
Un combat collectif
Les intervenantes ont convenu que le droit à l’avortement est un combat collectif qui nécessite une solidarité entre les mouvements féministes à travers le monde. Cette rencontre a permis de croiser les idées et les expériences , illustrant la nécessité d’une approche féministe et intersectionnelle pour aborder le droit à l’avortement. Les voix des militantes doivent être amplifiées pour garantir que toutes les personnes puissent disposer librement de leur corps et prendre des décisions éclairées sur leur santé sexuelle et reproductive. Cette sororité engagée est essentielle pour faire avancer les droits des femmes et assurer leur autonomie corporelle.