– Retour sur la CSW 67 : à l’ONU et dans le monde, les politiques étrangères féministes doivent passer à la vitesse supérieure pour combattre le “backlash”
Equipop a participé à la 67e session de la Commission sur le statut des femmes à l’ONU, qui s’est clôturée avec l’adoption d’un texte sur un thème inédit : les droits des femmes et le numérique. Toutefois, les négociations ont abouti au prix de concessions aux mouvements anti-droits, particulièrement mobilisés cette année.
“Le patriarcat contre-attaque, mais nous ripostons”. C’est avec ces mots qu’Antonio Guterres, secrétaire général des Nations unies, a ouvert la 67e édition de la “Commission sur le statut des femmes” (CSW), principal organe intergouvernemental chargé d’évaluer et d’accélérer les progrès en matière d’égalité de genre. Cette prise de parole forte a donné le ton des négociations inter-gouvernementales, qui se sont déroulées du 6 au 17 mars. Ces dernières se sont conclues par l’adoption d’un texte sur un thème encore jamais traité auparavant : numérique et égalité de genre (titre complet de la session : “Innovation et évolution technologique, et éducation à l’ère numérique aux fins de la réalisation de l’égalité des sexes et de l’autonomisation de toutes les femmes et de toutes les filles”). Or, le fait que les négociations débouchent sur un texte était loin d’être gagné. Cela démontre qu’il n’est pas impossible de mobiliser la communauté internationale autour des enjeux d’égalité de genre. C’est un point positif, si l’on considère que nous sommes dans un contexte où les mouvements féministes et leurs allié·e·s doivent mettre toutes leurs forces dans un seul objectif : ne pas reculer.
Le numérique, un thème inédit à la CSW
Le thème de cette 67e édition était d’autant plus important que le numérique n’échappe pas aux codes et aux logiques patriarcales, bien au contraire. Les espaces numériques entretiennent un continuum de violences sexistes et sexuelles et des rapports d’oppression, ce qui désincite les femmes à s’y investir. Les diverses inégalités d’accès aux technologies sont également accentuées par les biais sexistes reproduits par l’intelligence artificielle (IA). La nouveauté de cette thématique a présenté un défi pour les équipes de négociation, notamment au regard de l’introduction de nouvelles terminologies.
A l’issue des deux semaines de négociations, les Etats de l’ONU ont donc adopté des “conclusions agréées”, qui comportent des points importants comme la volonté commune de promouvoir les droits des femmes au sein des technologies, l’importance du digital pour améliorer l’accès aux services de santé sexuelle et reproductive, ou encore la nécessité d’adopter des politiques publiques visant à éliminer les violences dans ces espaces.
Droits des femmes et des personnes LGBTI+ : enjeux géopolitiques
L’adoption de ces conclusions s’est toutefois faite au prix de plusieurs concessions, qui limitent grandement son ambition et sa portée. Comme toujours, des coalitions d’Etats conservateurs ont miné les négociations en tentant de revenir sur des éléments de langage utilisés depuis longtemps dans les textes onusiens. Comme souvent, les Etats ont rejoué à la CSW un certain nombre de rapports de force géopolitiques sur le dos des droits des femmes et des personnes LGBTI+.
Plusieurs d’entre eux ont pris des positions ou organisé des side-events visant à diluer le contenu des négociations, comme le Guatemala, le Cameroun, le Nigeria, le Sénégal ou l’Iran. Les références aux “droits reproductifs” ou au caractère intersectionnel des discriminations à l’encontre des femmes et des personnes LBGTI+, ont été vivement contestées. Des propositions relatives à l’importance des technologies dans l’accès à l’éducation complète à la sexualité ont été refusées. De même, des éléments de langage qui auraient pu renforcer la protection des droits des personnes LGBTI+ ont été rejetés, y compris dans des terminologies très vagues comme : “les femmes et les filles dans toute leur diversité”.
Le groupe Afrique, par la voix du Cameroun, a manifesté une opposition particulièrement forte sur ces différents points. De manière générale, les mouvements anti-droits étaient très coordonnés : cette réalité, manifestation concrète du “backlash” (voir à ce propos le rapport rédigé par Equipop et la Fondation Jean-Jaurès), était très présente à l’esprit de tou·te·s les activistes, rendant d’autant plus importantes les solidarités féministes transnationales.
Renforcer les solidarités féministes transnationales
Face aux attaques contre les droits des femmes et des personnes LGBTI+, il est plus essentiel que jamais de faire mouvement, renforcer les solidarités féministes transnationales et porter des combats conjointement. C’est la mise en commun d’actions au niveau local, national et international, et les solidarités féministes qui se tissent à travers ces différents niveaux, qui rendent possible l’avancée des droits des femmes.
La CSW a été l’occasion pour Equipop de rencontrer des partenaires et de tisser de nouveaux liens avec des activistes du monde entier. A travers divers évènements organisés par les missions permanentes auprès de l’ONU des Pays-Bas, de l’Allemagne, Equipop a pu échanger sur les enjeux liés à la construction d’un espace numérique féministe. Equipop a échangé avec des réseaux féministes internationaux comme AWID et des fonds féministes intervenant dans des contextes d’urgence comme Urgent Action Fund. Plusieurs partenaires du Women7, dont Equipop est membre dans le cadre de sa mobilisation autour du G7, ont été rencontré·e·s. Equipop a participé au lancement de l’initiative “Feminist Foreign Policy Collaborative”, dont nous sommes membres. Cette plateforme inédite permettra la création d’alliances progressistes en faveur de l’égalité de genre. La France, qui en est membre, devra s’y investir fortement.
Parce que toutes les mobilisations féministes sont liées et parce que c’est un droit fondamental, Equipop a également défendu l’inscription du droit à l’avortement dans la Constitution française, aux côtés de ses partenaires.
Développer des politiques étrangères féministes en Europe et dans le monde
Dans une conjoncture de recul de droits fondamentaux, des Etats-Unis à l’Ouganda ou la Pologne, il est crucial de mettre en œuvre des politiques étrangères féministes ambitieuses, co-construites avec les associations et les activistes, dans une démarche intentionnelle de transformation des rapports de pouvoir.
C’est le sens des messages qu’Equipop a partagés lors de ses rencontres avec plusieurs responsables politiques, notamment la mission permanente de la France auprès de l’ONU, avec laquelle elle souhaite poursuivre les échanges stratégiques en vue d’autres échéances onusiennes. Equipop a également rencontré une délégation d’eurodéputé·e·s membres du FEMM Committee (European Parliament Committee on Women’s Rights and Gender Equality), coordonnée par Robert Biedron. La mobilisation de parlementaires progressistes est nécessaire afin de pousser l’UE à porter une voix forte dans les processus intergouvernementaux et de renforcer les dynamiques européennes autour des politiques étrangères féministes.
Le concept de politiques étrangères féministes offre un très grand potentiel pour faire bouger les lignes au niveau national, européen et mondial, particulièrement à un moment où nous avons besoin d’Etats leaders. Ces politiques ne doivent pas être des politiques du statu quo : en plus de contrer les discours anti-choix, il s’agit maintenant d’aller chercher de nouvelles victoires et de faire avancer d’autres narratifs féministes. Les politiques étrangères féministes doivent être en première ligne partout où le backlash se manifeste, et renverser la tendance.
Pour cela, la collaboration avec les activistes et mouvements féministes est essentielle : elles doivent être impliquées dans les discussions et dans les préparatifs des processus intergouvernementaux bien en amont, comme de réelles partenaires stratégiques. Leur participation aux processus onusiens doit être soutenue politiquement et financièrement. Cette année encore, de nombreuses activistes ont dû renoncer à venir à New York, du fait des coûts que cela représente et des refus de visa. A l’instar du Women’s Rights Caucus, Equipop appelle tous les acteurs concernés, et en particulier le pays hôte, les États-Unis, à traiter cette question de manière adéquate pour tous les événements relatifs à l’égalité de genre organisés au siège des Nations unies.
Enfin, pour que ces politiques soient crédibles à l’international, elles doivent faire l’objet d’un suivi rigoureux. C’est le sens du lancement de la “Feminist accountability framework” du Forum Génération Égalité. Comme le disent les 22 expertes féministes qui animent cette initiative, à présent, “nous exigeons, nous ne recommandons pas”. La France, co-organisatrice du FGE, devra être exemplaire dans cet exercice de redevabilité.