– Les féministes prennent la route : les caravanes de causerie communautaire
C’est en écoutant les premières concernées qu’on peut comprendre les oppressions auxquelles elles font face. Cette approche, les militantes féministes engagées avec Equipop dans le cadre du projet “Jeunes Féministes en Afrique de l’ouest” l’ont bien comprise. Depuis près d’un an, elles partent à la rencontre des femmes et des filles en zones rurales pour écouter leurs préoccupations, difficultés, priorités et besoins spécifiques en termes de droits. Equipop présente les caravanes féministes de causerie communautaires !
Au Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal, Equipop et des activistes féministes ont organisé des caravanes de causerie communautaires dans 3 régions par pays et notamment dans des zones rurales ou périurbaines. Ces caravanes consistent à organiser des moments d’échanges entre les facilitatrices féministes de chaque pays et des femmes et filles issues de ces localités, particulièrement celles en situation de vulnérabilité. De juillet à septembre 2022, une première salve de caravane a eu lieu. Nous sommes actuellement au cœur de la seconde salve, lancée en février.
A l’origine des caravanes : la volonté de mieux défendre les droits de toutes les femmes et filles
Il est souvent reproché aux militantes féministes en Afrique de l’Ouest d’être trop centrées sur les réalités des femmes en capitale. Bien conscientes de leurs angles morts, plusieurs militantes actives dans la sous-région s’interrogent depuis plusieurs années et proposent des pistes pour rendre le mouvement féministe plus inclusif. L’enjeu est aussi de laisser la place aux femmes et aux filles en situation de marginalisation sociale ou géographique dans le mouvement féministe. Autre constat : le manque cruel de données sur les violences sexistes et sexuelles en Afrique de l’Ouest rend plus difficile le travail de mobilisation sociale et politique des féministes.
Pour répondre collectivement à ces préoccupations, Equipop a facilité des espaces d’échanges en ligne ouverts aux militantes féministes. Progressivement, ces discussions sont devenues des réunions de co-construction d’une cinquantaine de militantes aux profils divers – militantes en milieu communautaire, journalistes, sociologues, médecins, etc. En partageant leurs idées, leurs expériences, elles sont arrivées à formaliser un plan d’action régional pour des caravanes de causerie communautaires féministes.
Libérer la parole autour des violences sexistes et sexuelles
Pendant plus d’une année, les féministes sont allées à la rencontre de groupes de femmes en situation de marginalisation. Dans chaque localité, elles ont créé l’espace pour un dialogue autour des expériences sexistes, des violences sexistes et sexuelles vécues ou constatées par les femmes et filles rencontrées. Ces espaces prennent la forme de cercles de parole où les femmes témoignent de leurs vécus et donnent leurs avis et ressentis sur leurs droits et actions féministes. Dans la totalité des zones visitées, les femmes et filles rencontrées ont déclaré avoir vécu ou été témoins de violences sexistes et sexuelles. On note notamment une grande prévalence des violences dans le couple, la difficulté pour les jeunes d’avoir accès à des informations et des services de santé sexuelle et reproductive, la quasi absence de service de prise en charge des victimes de violence et l’omniprésence des violences sexuelles. Pour récolter plus de données sur ces violences et améliorer l’accueil et la prise en charge des survivantes, les féministes – mais aussi les agent·e·s de santé, travailleur·euse·s communautaires et sociaux, agent·e·s de justice et de police – ont besoin de moyens humains et financiers. C’est pourquoi, en parallèle des caravanes, les féministes préparent la campagne Compter pour toutes.
Enfin, malgré l’idée-reçue d’une rivalité entre femmes et d’une absence de solidarité féminine, de nombreux témoignages d’entraide entre femmes et de sororité ont été partagés par les participantes des discussions.
Un apprentissage collectif
“ Ces caravanes ont été une claque : j’ai réalisé que l’impact de mes activités se limitait à Dakar. Il faut essayer de décentraliser les choses !” – Fatou Warkha Sambe, militante féministe sénégalaise.
Ces caravanes se sont révélées riches d’enseignements et d’apprentissages pour toutes les parties impliquées.
Le travail sur les privilèges engagé depuis le début du processus a permis à toutes de prendre du recul sur les biais qui pouvaient altérer leur compréhension des situations vécues par les femmes rencontrées, et leurs réponses à ces situations.
La posture d’écoute utilisée par les facilitatrices a favorisé une certaine libération de la parole des femmes et filles rencontrées. Via ces échanges, les militantes féministes ont pu prendre conscience du manque d’information sur les droits et les violences qui touche certaines femmes et filles de leurs pays, qui peut entrainer des incompréhensions vis-a-vis des actions féministes.
Enfin, cette activité a permis de souligner l’importance de faire du lien entre les féministes et les femmes et filles en région ou dans des zones moins accessibles, quels que soient les défis logistiques. Il faut continuer à créer des espaces d’échange les plus sûrs possible entre femmes pour mieux se comprendre et construire collectivement des réponses aux oppressions patriarcales.
Alors que les dernières caravanes touchent à leur fin, l’analyse des échanges et données sur les droits et les réalités des femmes et filles rencontrées donneront suite à l’écriture d’un rapport régional au service de la mobilisation sociale et politique. Une réflexion sur les leçons à tirer d’une telle expérience collective est également lancée pour enrichir la dynamique d’ouverture des mouvements féministes aux femmes et aux filles en situation de marginalisation.