– La lutte contre le sida doit être féministe !
Face aux discours convenus et aux résistances politiques, les militantes féministes peinent encore à faire entendre la parole des femmes et les solutions qu’elles proposent dans la lutte contre le VIH/sida. Pour la journée mondiale de lutte contre le sida, qu’attendons-nous pour les écouter ?
par Aurélie Gal-Régniez, Directrice exécutive, Equipop et Lucie Daniel, Experte Plaidoyer d’Equipop
Cette tribune est parue le 1er décembre dans le HuffPost.
En 2020, faut-il encore rappeler que le sida concerne également les femmes? À l’échelle mondiale, les filles et les femmes représentent plus de la moitié des 38 millions de personnes vivant avec le VIH, et dans certaines régions, ce sont plus spécifiquement les adolescentes qui sont touchées. Situations en partie liées aux rapports de pouvoir patriarcaux, profondément ancrés dans nos sociétés, qui s’exercent aussi et au premier chef dans la sphère de la sexualité. Dans les relations hétérosexuelles, les femmes, en particulier certaines d’entre elles qui cumulent les discriminations (liées au statut économique, à l’âge, au handicap…), sont souvent dans l’impossibilité de négocier des rapports sexuels protégés. Un nombre important d’entre elles subissent également des viols. Par ailleurs, les femmes jouent également un rôle crucial dans la prise en charge des malades, palliant gratuitement les déficiences des systèmes sociosanitaires dans beaucoup de pays.
Pourtant la place des femmes dans la lutte contre le VIH/sida a longtemps été considérée à travers le seul angle de la prévention de la transmission mère-enfant. Bien que d’immenses progrès aient été obtenus depuis les années 2000 dans ce domaine spécifique, cela ne couvre qu’une partie de la question. Les femmes n’étant pas que des mères, c’est une approche basée sur le genre, plus large, qui est nécessaire. Les institutions internationales en ont pris conscience, mais les réponses tardent.
En 1995, dans le cadre de la 4 conférence mondiale sur les femmes, les États de l’ONU s’étaient engagés à prendre en compte les besoins des femmes et à veiller à leur participation dans les politiques et programmes de lutte contre le sida. Mais ce n’est qu’en 2017, soit quinze ans après sa création, que le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme a fait de l’égalité de genre un des piliers de sa stratégie. Pourquoi les progrès sont-ils si lents ?
Un manque de volonté politique et des réponses opérationnelles insuffisantes
Les blocages sont avant tout politiques et institutionnels. La prise en compte du genre dans la lutte contre le VIH/sida exige des États qu’ils instaurent des politiques volontaristes en matière d’éducation complète à la sexualité, qu’ils reconnaissent les droits sexuels de toutes les femmes et qu’ils fassent de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles une priorité. Or, on sait que sur ces questions, nous assistons souvent à des retours en arrière, au mieux, à la politique des petits pas. Par ailleurs, la culture dominante dans les programmes nationaux et organisations internationales reste patriarcale, les enjeux d’inégalités de genre et la participation des femmes individuellement ou collectivement y sont marginalisés.
Le deuxième obstacle, directement lié, est opérationnel. S’il existe par exemple au sein du Fonds mondial des cadres stratégiques et des outils pertinents, nous sommes encore très loin d’une mise en œuvre concrète. Les approches basées sur le genre sont souvent diluées dans un jargon technique, soumises à une culture du résultat inadaptée et écartées au moment des arbitrages budgétaires. Le décalage est immense entre les discours institutionnels et les analyses effectuées par les associations de femmes, qui n’en voient pas les effets, y compris au plus fort de la crise Covid-19.
Avec les associations féministes, impulser un tournant dans la lutte contre le VIH/sida
Face à ce constat, comment sortir d’une inertie collective? Il faut d’abord soutenir, politiquement et financièrement, les associations féministes qui, depuis des années, se battent pour agir sur les causes de la vulnérabilité des femmes à la pandémie, rendre visibles les femmes les plus marginalisées et faire valoir leurs connaissances. Elles doivent être systématiquement associées aux espaces d’élaboration des politiques publiques de lutte contre le VIH/sida et aux prises de décision.
Ensuite, il s’agit de faire de l’égalité de genre le principe directeur de toute politique publique de lutte contre le VIH/sida. Cela implique des politiques volontaristes et contraignantes qui mobilisent des moyens clairs pour lutter contre les inégalités structurelles entre les femmes et les hommes et renforcer le pouvoir individuel et collectif des femmes.
Il est important, enfin, de repolitiser l’approche Genre au sein de la lutte contre le VIH/sida, c’est-à-dire mener un agenda résolument féministe, notamment au sein des organisations internationales. En cohérence avec sa “diplomatie féministe”, la France pourrait jouer un rôle clé dans la constitution d’un front commun, en s’alliant avec des États comme les pays scandinaves et le Canada. Le Forum Génération Égalité qui aura lieu à Paris en 2021 est une opportunité de faire enfin monter ce sujet.
La lutte contre le VIH/sida a su marquer les consciences collectives par son audace et sa capacité à secouer les approches dogmatiques. Son prochain tournant doit être féministe.