– Je suis en vie grâce à la sororité
Palwasha est arrivée en France avec sa mère Anissa, à la fin du mois d’août, aux lendemains de la prise de Kaboul, par les Talibans en Afghanistan. Du fait de leurs engagements, notamment en faveur des droits des femmes, toutes deux étaient particulièrement menacées. Leur évacuation a pu avoir lieu grâce à un élan de sororité venue de France, auquel Equipop a pris part. Depuis le Sud de la France, Palwasha poursuit sa mobilisation féministe.
A quoi ressemblaient les mouvements féministes en Afghanistan avant l’arrivée des Talibans au pouvoir ?
Lorsque le premier régime Taliban s’est terminé, j’étais toujours à l’école. C’est là qu’est né mon engagement féministe. J’ai eu l’opportunité d’apprendre beaucoup de choses en allant à l’école, puis à l’université. D’autres activités sont parties du fait que les femmes avaient reçu une éducation. Avant, les familles ne pensaient qu’à l’éducation de leurs fils, mais grâce aux actions menées par les féministes, l’éducation des filles est devenue -elle aussi- importante. Il y a eu de nombreux progrès dans le domaine de l’éducation. L’éducation permettant l’empouvoirement des femmes/des filles. L’accès au travail découle, entre autres, de l’éducation. Ces réussites ont conduit à d’autres réussites. Et la vision sur les femmes était en train de changer en Afghanistan.
Certains droits ont pu être acquis, comme le droit d’être propriétaire pour une femme. Les femmes ont également pu prendre davantage de place dans les médias et les réseaux de femmes ont pris plus d’ampleur.
Le combat prioritaire des femmes, et particulièrement des féministes, est l’atteinte de l’égalité entre les femmes et les hommes. Une égalité qui passerait notamment par l’inclusion des femmes dans les négociations de paix, c’est une demande et un combat majeur pour les féministes afghanes. Moi-même, lorsque j’étais sur place, en tant que cheffe de communauté (community leader), j’ai pu contribuer aux négociations de paix et demander à ce que les femmes soient incluses dans ces processus.
Que veut dire “être une femme engagée en politique” en Afghanistan ?
Il était extrêmement compliqué d’être une femme politique en Afghanistan. Les femmes ne comptent pas, elles ne sont pas vues comme des personnes pouvant contribuer au changement. Les femmes docteures et professeures sont désormais respectées, c’est un progrès. Mais dans les autres domaines professionnels, et surtout la politique, les femmes sont jugées incapables.
Il y avait notamment beaucoup de problèmes de sécurité pour les femmes en politique. Pour être plus précise, la situation était particulièrement dangereuse pour les femmes engagées en politique mais non adhérentes à un parti. En effet, les membres d’un parti politique ont des gens pour les protéger, pour assurer leur sécurité.
Pour ma part, je ne voulais pas dépendre d’un parti politique. Je me suis engagée en politique alors que j’étais étudiante en droit. Je voulais voir mon pays progresser et que mon peuple connaisse une paix durable et la stabilité. C’est ce rêve qui m’a convaincu de travailler en politique. Je veux apporter du changement pour mon peuple, et pas travailler pour un parti politique. Donc, j’étais perpétuellement en danger. Des gens voulaient me décourager, m’empêcher de faire mon travail. Et surtout, on voulait m’empêcher de parler aux médias.
Les médias, aussi bien afghans qu’internationaux, ont soutenu les femmes activistes en faisant entendre leurs voix à l’intérieur et à l ‘extérieur d’Afghanistan. Que ce soit la télé, la radio, ou les journaux, comme la BBC, ou la Deutsche Welle.
Cette visibilité nous a donné l’occasion de prouver aux Afghans et au reste du monde que les femmes afghanes peuvent être porteuses de changement et contribuent à l’avènement de cette paix. Moi aussi je voulais faire changer les mentalités et les consciences à propos des femmes, et démontrer que les femmes peuvent faire de la politique et vraiment apporter du changement. Je crois même que nous connaîtrons un jour une femme présidente en Afghanisan !
Comment poursuivre votre combat pour les femmes afghanes depuis l’Europe ?
Je ne suis pas du genre à me reposer maintenant que moi et ma mère sommes en sécurité. J’ai déjà commencé à constituer un groupe de réfugiées afghanes. Nous avons commencé un groupe WhatsApp pour des discussions tournantes, sur des sujets comme la paix, les activistes féministes…. Nous aimerions bientôt commencer des activités, mais pour le moment c’est compliqué car il n’est pas facile de nous retrouver ; l’une est en Allemagne, l’autre à Lyon, moi dans le Sud de la France…
Mais si nous nous organisons, nous pourrons porter la voix des femmes afghanes dans le monde et notamment à l’ONU, pour demander de l’aide pour la paix en Afghanistan, et, dans l’immédiat, pour les femmes restées en Afghanistan.
Je suis aussi en contact avec des féministes sur place. Nous travaillons secrètement car elles sont en danger. Une a déjà dû prendre l’avion pour Islamabad car elle était en danger à Kaboul. Nous sommes sans nouvelles de cinq autres activistes avec qui nous travaillons sur l’éducation des filles.
Pour ma part, je veux continuer à venir à Paris pour rencontrer des personnalités, des organisations, participer à des manifestations, des groupes de travail et de parole, être reçue par les organisations parlementaires. Je suis disponible et nous avons besoin de ces soutiens.
Que peuvent faire les réseaux féministes français et internationaux pour venir en aide aux femmes et féministes afghanes restées sur place ?
Moi-même, je suis en vie grâce à la sororité ! J’ai d’ailleurs été surprise de toute la sororité et la solidarité en générale en France. J’ai reçu beaucoup de soutien pour que ma mère et moi ayons une vie plus paisible en France, mais aussi des biens matériels, comme de la nourriture, des vêtements etc. Je suis profondément reconnaissante de cette sororité, solidarité.
Les Français·e·s et acteur.rice.s internationaux peuvent encore aider les femmes réfugiées pour leur permettre de se retrouver, les mettre en contact pour qu’elles puissent porter la voix des afghan·e·s et travailler pour la paix. Il faut leur donner une voix en Europe.
Les médias français peuvent aussi contribuer en permettant de donner la parole aux femmes afghanes. Il est encore temps de réagir !
Qu’est-ce que le terme “diplomatie féministe” évoque pour vous ?
La diplomatie féministe est un concept pour promouvoir les bonnes pratiques en terme d’égalité de genre dans un gouvernement. Elle doit garantir que toutes les femmes aient accès aux droits humains, à travers les relations diplomatiques, et encore lutter contre les violences sexuelles, s’assurer que les jeunes filles et les garçons reçoivent la même éducation, garantir l’indépendance économique et financière des femmes, la présence des femmes en politique et dans les négociations de paix… Tous ces sujets doivent faire partie de la Diplomatie féministe.
La France a la réputation de supporter l’égalité de genre. Elle travaille notamment beaucoup sur la place des femmes en politique, et dans l’économie. Et même si les Afghanes ne sont pas Francaises, elles sont des femmes. Alors si la France a une diplomatie féministe, elle doit aider les femmes afghanes.
Quels sont vos espoirs et perspectives ?
Je garde espoir pour les femmes afghanes. Je crois que nous pouvons apporter le changement, apporter la paix et la sécurité en Afghanistan. Mais surtout je veux continuer à travailler en tant qu’activiste pour transformer cet espoir en réalité.
Mais dans l’immédiat, ce qui me préoccupe c’est que j’ai laissé plusieurs membres de ma famille en Afghanistan : une belle-sœur et ses quatre enfants, sans homme. Lorsque je vivais sur place, j’étais leur soutien financier. Maintenant je ne peux plus rien pour elles et eux. Je suis très inquiète, je crains toujours qu’ils ne violent l’une de mes petites nièces. Là encore, j’espère que la sororité féministe pourra nous venir en aide.
Retrouvez également le parcours de Palwasha :
- l’article d’Isabelle Mourgère et Lilianne Charrier Sur Terriennes / TV5 Monde ;
- Sur France Inter, dans l’émission Unique en son genre, de Giulia Foïs ;
- Dans Libération, le portrait par Marlène Thomas.