– Interview – Cornélia GLELE : cinéaste et féministe béninoise

– Interview – Cornélia GLELE : cinéaste et féministe béninoise

Activiste et défenseuse des droits des femmes au Bénin, Cornélia GLELE est initiatrice du Festival International des Films de Femmes de Cotonou (FIFF). Événement lancé en 2019, il met en lumière et célèbre le travail des réalisatrices africaines. La 3 édition a eu lieu du 20 au 24 février 2024. 

Cornélia GLELE a embrassé le monde de l’activisme dès son plus jeune âge. À seulement 13 ans, elle rejoint une association en tant que bénévole. Son cheminement la conduit ensuite à l’université, où elle s’engage auprès du Réseau Ouest Africain des Jeunes femmes Leaders du Bénin qui lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Elle y découvre le féminisme et sa passion pour la défense des droits des femmes, une conviction qui a toujours animé ses actions.

 

“Aujourd’hui, au Bénin, être qualifié de féministe est considéré comme une insulte. Pour moi, c’est tout le contraire. Je porte cette étiquette avec fierté, au point de l’affirmer quand je me présente : je dis, je suis Cornélia Glele, cinéaste et féministe.”

Peux-tu nous parler de ton parcours et de ton engagement pour les droits des femmes ?

 

Après une licence en journalisme et un master en cinéma, j’ai travaillé comme journaliste. Je n’étais pas très épanouie parce que le traitement des sujets dans le journalisme était très court, alors que je voulais passer plus de temps sur les sujets. Je me suis donc réorientée vers le cinéma. J’ai commencé par faire du cinéma documentaire et petit à petit, j’ai évolué vers la fiction.

Peux-tu nous en dire un peu plus sur le FIFF et comment tu as décidé de le créer ?

 

Le festival est une fusion entre mon blog, c’est-à-dire mon envie de parler du cinéma africain, et l’envie de faire découvrir et transmettre l’amour du cinéma à d’autres filles/femmes.

 

J’ai lancé en 2017 une formation sur l’acting uniquement réservée aux filles et l’idée de créer un festival est née ensuite d’une nuit d’insomnie. J’en ai parlé à un ami, qui m’a clairement dit que j’étais folle de vouloir me lancer dans un si gros projet qui nécessite beaucoup de financements. Il était un peu sceptique, mais malgré ses réserves, il m’a quand même suivi dans mon délire {Rires}, et nous sommes allés à la rencontre d’une figure influente dans le monde du cinéma qui nous a guidés. Elle nous a conseillé de choisir une thématique spécifique pour le festival pour se démarquer des autres festivals, comme le FESPACO, qui existent déjà. C’est à partir de ces échanges qu’est venue l’idée de centrer la thématique de mon festival autour des films réalisés par des femmes, dont la première édition a eu lieu en 2019.

Quel était ton objectif principal en le lançant ?

 

L’objectif principal pour moi en créant le Festival International du Film des Femmes (FIFF) était de mettre à l’honneur des films pensés et réalisés par des femmes africaines, vraiment montrer le travail des femmes dans le cinéma africain, parce qu’elles existent. L’autre objectif pour moi, était d’inciter les femmes à se lancer dans les métiers techniques de la cinématographie, à l’écriture de scénarios, etc. En gros, sortir du cliché de certains métiers (actrices, maquilleuses, etc.) qui dans l’imaginaire de beaucoup de personnes sont les seuls métiers que les femmes peuvent faire dans le monde du cinéma. Et le dernier objectif était de faire venir les gens au Bénin, parce que j’adore mon pays et je trouve que tout le monde devrait le visiter {Rires}.

Quel rôle le festival joue-t-il dans la promotion des droits des femmes et leur représentation dans l’industrie cinématographique béninoise et africaine en général ?

 

Avant, les gens appelaient le FIFF Cotonou “le festival bébé”, mais aujourd’hui il est devenu un grand événement, il fait partie des festivals qui comptent en Afrique. Nous avons trouvé la bonne manière pour amener les gens à s’intéresser au mouvement féministe et à des sujets qui touchent les femmes ainsi que les sensibiliser sur les diverses formes de violences faites aux femmes. Chaque édition est organisée autour d’une thématique. Pour la première édition, la thématique était celle des violences faites aux femmes. Pour cette troisième édition, nous avons choisi comme thématique “le cinéma féminin pour plus de sororité”. 

Au-delà des films qui sont projetés, on anime aussi des discussions avec le public, et par ce biais, on essaye d’enclencher une réflexion chez les un·e·s et les autres sur leur comportement/attitude, de questionner leur langage dans les interactions avec les filles/femmes dans la rue, dans le contexte professionnel ou intime, etc. 

Le rôle du festival, c’est exactement comme toute activité qui vise à apporter un changement de comportement, et je le dis dans mes discours :

 

“Le festival, c’est un alibi pour vous empêcher d’être sexiste, pour arrêter avec le patriarcat.”

Comment est-ce que tout ceci contribue à la visibilité des femmes scénaristes, réalisatrices, et productrices de cinéma ?

 

Déjà, comme on ne prend que des films faits par des femmes, ça leur donne de la visibilité ; parce qu’en fait les films produits et ou réalisés par des femmes ne vont pas beaucoup dans les festivals “génériques”. Et ceci est vrai dans le monde entier, notamment dans les grands festivals comme Cannes.

Peux-tu nous partager des moments marquants ou des succès que le festival a rencontrés depuis sa création ? Y a-t-il des réalisatrices ou des films dont tu es particulièrement fière d’avoir présenté ?

 

Une des réussites qui me tient à cœur, ce sont les formations de Kino Wendia que nous avons organisées pour former des filles à la cinématographie, tout en abordant des thématiques telles que le féminisme et le patriarcat. Des filles qui, au début des formations, ne se considéraient pas féministes, mais qui ont ensuite compris les enjeux du mouvement féministe et les combats qu’il porte.

Enfin, 2 choses sur le festival, dont je suis particulièrement fière, le fait qu’il ait permis à de nombreuses filles de vivre leur première expérience cinématographique. C’est une véritable victoire. Ensuite, je suis contente de voir que le festival prend de l’ampleur et qu’il est reconnu dans le monde cinématographique africain et au-delà du continent.

Tu as parlé du Kino Wendia, comme étant un des succès qui te tient à cœur, peux tu nous en dire plus sur ce projet ? Quelle était l’ambition principale ? 

 

Lorsque nous avons lancé le Kino, beaucoup de personnes nous contactaient, nous écrivaient sur les réseaux sociaux pour savoir comment faire carrière dans le cinéma. Avec l’appel à propositions de Féministes en Action, j’ai rédigé un projet que j’ai soumis, et c’est avec ce financement que j’ai pu former 10 jeunes femmes pendant 2 mois. La formation comprenait une introduction au féminisme ainsi qu’un apprentissage à l’écriture de scénarios et au montage. À l’issue de cette formation, elles ont coécrit un scénario inspiré de leurs expériences personnelles, mettant en lumière des formes de violence qu’elles ont subies. Ce scénario a été tourné en trois jours et leur film MALAIKA a été projeté lors de la cérémonie d’ouverture de la troisième édition du FIFF Cotonou.

Au-delà de l’apprentissage technique, quelle est selon toi la plus-value pour ces jeunes femmes d’avoir eu cette formation ?

 

Le Kino représente une véritable opportunité d’autonomisation pour ces jeunes femmes ; en leur offrant une première expérience dans le domaine du cinéma, cela leur permet de se lancer dans l’industrie avec les outils nécessaires. C’est également un moyen de sensibiliser ces jeunes femmes au mouvement féministe. Aujourd’hui, elles n’hésitent plus à revendiquer leur engagement pour l’égalité des sexes.