– Plaidoiries des finalistes au concours d’éloquence pour les droits des femmes
Le 11 avril dernier, l’ADHS et Equipop co-organisaient un concours d’éloquence pour les droits des femmes. Les cinq finalistes ont offert à l’audience des plaidoyers tous aussi puissants les uns que les autres, nous rappelant la soif d’engagement de la jeunesse d’aujourd’hui. Découvrez ou redécouvrez leurs plaidoyers.
Retranscription du plaidoyer de Louise, gagnante du premier prix du concours –
Mesdames, Messieurs les jurés, nobles compétiteurs et splendide assemblée, bonsoir.
« Un million de femmes se font avorter chaque année en France. Elles le font dans des conditions dangereuses en raison de la clandestinité à laquelle elles sont condamnées, alors que cette opération, pratiquée sous contrôle médical, est des plus simples. On fait le silence sur ces millions de femmes. Je déclare que je suis l’une d’elles. Je déclare avoir avorté. De même que nous réclamons le libre accès aux moyens anticonceptionnels, nous réclamons l’avortement libre. »
343 célébrités françaises ont signé cette pétition. 343 voix parmi des milliers d’autres qui se sont battues pour obtenir le droit à l’avortement.
L’instigatrice de ce mouvement ? Elle s’appelait Simone, « une jeune fille rangée » mais aussi rongée par le désir de s’émanciper. Une femme, qui en ces mots s’est exprimée : « N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant.«
Simone avait raison. Simone savait qu’ »on ne nait pas femme, on le devient. Qu’il n’y a pas un destin biologique, psychologique, qui définisse la femme en temps que telle« . La vigilance est donc évidemment de mise CAR la femme ne veut et ne sera Ni pute ni soumise. Elle sait que pour l’instant ces droits ne sont évidemment PAS acquis.
Mais au même titre que les droits des hommes. C’est d’ailleurs le sens même de l’existence de La Ligue des Droits de l’Homme, d’Amnesty International ou encore de l’ACAT.
Il faut constamment veiller au respect des droits humains. Or la femme est un être humain.
Donc il faut rester vigilant quant aux droits des femmes…
Parce que chaque jour, dans la sphère publique comme privée, des femmes et des jeunes filles par milliers sont victimes
– d’humiliations, de privations,
– de harcèlements et de traitements inhumains et dégradants
– de viols, de violences et de féminicides, perpétrés au nom de traditions ou de lois sordides.
Parce que les mariages précoces et forcés volent leur jeunesses à des milliers de filles, conduisent à la déscolarisation, à des grossesses, non désirées, à des situations de profonde détresse. L’interdiction absolue ou l’extrême restriction de l’IVG ôtent la possibilité de CHOISIR d’avoir ou non un enfant, et obligent les femmes à recourir à des avortements illégaux et risqués pour leur vie. Dans certains pays, suite à une fausse couche, des femmes sont jetées en prison parce qu’elles sont soupçonnées d’avoir avorté. Plus de 200 millions de femmes ont été victimes de mutilations génitales féminines.
Alors non, ces droits ne sont pas acquis partout dans le monde.
Alors non, même là où ils ont été conquis, ils ne peuvent être considérés comme acquis. Révoltons-nous comme ces Polonaises descendues dans les rues pour s’opposer à la volonté du gouvernement de rendre l’IVG quasiment impossible. Mais surtout, surtout restons vigilantes. Ce sont les mots de Simone, des mots qui nous en conjurent. Nous nous devons d’être prêtes à nous défendre contre toute attaque éventuelle à l’encontre de ces droits, qui sont les nôtres.
Ne jamais oublier, ne jamais détacher son attention de ce joyau dont on jouit, de ces droits conquis.
Car ces droits ont beau avoir été gagnés par la lutte, reconnus, approuvés, légalisés, ils sont encore à acquérir pleinement. Aucune atteinte ne devrait être rendue possible. Aucune remise en question, reconsidération, ne devrait être permise. « Les choses commencent à changer. Législateurs, prêtres, philosophes, savants se sont acharnés à démontrer que la condition subordonnée de la femme était voulue dans le ciel et profitable à la terre. » Mais ils se sont trompés. Le Deuxième Sexe doit pouvoir gagner autant que le Premier et pas 25% de moins. Le Deuxième Sexe doit pouvoir disposer d’une garantie de l’impossibilité de revenir sur ces droits une fois acquis. Le Deuxième Sexe ne veut pas avoir le Premier Sexe comme ennemi mais s’attachera à détruire sa version pervertie ; j’ai nommé, la phallocratie.
Retranscription du plaidoyer d’Arianne, gagnante du prix du public –
Simone, chère Simone, en tant que femme je te dois beaucoup, je te dois même tellement, et je sais le respect dont je dois te faire preuve à toi qui t’es battue, pour nous toutes. Et pourtant… Pourtant Simone, aujourd’hui, je me dois de te dire que je ne suis pas d’accord avec toi. Toi qui prétends qu’il suffira d’une crise pour que soient remis en question nos droits.
Tu oses dire qu’il suffira d’une crise, comme si une crise ce n’était rien. Mais non Simone, une crise ce n’est pas rien. Et pourtant Simone, il ne suffira pas d’une crise pour que nos droits soient remis en cause, il suffira d’un rien.
Toi qui affirme que “Personne n’est plus arrogant envers les femmes, plus agressif ou méprisant, qu’un homme inquiet pour sa virilité” alors tu es consciente qu’il suffira d’une déception amoureuse pour qu’un homme déteste les femmes. Il suffira d’un projet de loi visant à pénaliser le harcèlement de rue pour que des femmes se mettent à invoquer une liberté d’importuner. Il suffira qu’une femme se revendiquant féministe aille trop loin dans ses propos ou dans sa manière de faire pour que toutes les féministes soient stigmatisées comme des hystériques enragées prônant la haine des hommes. Il suffira qu’un écrivain controversé tel qu’Eric Zemmour revendique un encadrement plus strict de l’avortement et une responsabilisation des femmes pour que ses lecteurs remettent en cause le droit à l’avortement. Il suffira d’un chef d’entreprise sexiste pour que le plafond de verre empêche des femmes compétentes d’accéder à des postes à responsabilité. Il suffira d’un Président misogyne pour que les États-Unis d’Amérique et la Pologne cessent de financer le planning familial.
Non Simone, ce ne sont pas des crises que nous devons avons peur, mais de ceux qui détiennent les pouvoirs politiques et économiques. Non seulement nous ne devons pas craindre les crises, mais bien au contraire, nous devons bénir les crises. En effet ce sont précisément lors des crises que l’on discute de tout ce qui va mal, que l’on met en exergue des inégalités, qu’on cherche des solutions et qu’on en trouve. Et dans les périodes de calme, de paix, de tranquillité, chacun se complait dans sa situation, on ne va pas chercher la petite bête, on ne va pas titiller les hommes quand notre petite vie est paisible de peur de déclencher des tensions sociales. Et si on ne parle pas, alors les choses ne changent pas.
Si les crises nous font peur, c’est à tort car c’est grâce à elles que bien des droits ont été acquis ou renforcés, droits qui ne concernent d’ailleurs pas que les femmes.
- 1948 : abolition de l’esclavage durant la Révolution des Trois Glorieuses.
- 1914-1918, Première Guerre mondiale : les munitionnettes, les femmes travaillent à la place des hommes.
- 1944, Seconde Guerre mondiale : le droit de vote est accordé aux femmes.
- 1975 : en pleine crise économique, l’avortement est légalisé.
Alors chères femmes, chers hommes, chers humains, si Simone vous incitait à craindre les crises, comme facteur de remise en cause des droits des femmes, pour ma part je vous invite à chérir ces crises, elles qui nous permettent de faire grandir nos droits. Mais en réalité Simone je crois que tu avais vu venir tes détracteurs, et pour leur couper l’herbe sous le pied, tu as usé d’une formule des plus ambiguës.
Tu parles de remettre en question les droits des femmes. Mais mettre en question ces droits, questionner ces droits, cela ne signifie pas nécessairement aller à leur encontre.Tu ne pensais pas nécessairement cette formule de manière négative. Tu pouvais voir dans le fait de remettre ces droits en question, le fait de s’interroger sur leur réalité, sur leur étendue, et sur le chemin qui reste encore à parcourir pour qu’ils soient effectifs. Tu pouvais penser cette formule de manière positive. Et penser que tu as pu interpréter le terme questionner les droits des femmes de cette manière positive serait le seul moyen pour moi de te rejoindre.
Et sais comme j’ai envie de te rejoindre, toi, celle qui nous a montré le chemin, celle qui a tenté de briser nos chaînes à toutes.
Et je te promets Simone que notre vie durant nous resterons vigilantes et combattantes.
Retranscription du plaidoyer de Léonie, gagnante du prix « meilleur espoir » –
Mesdames et Messieurs, Cher Jury, Simone si tu m’entends,
Il se fait tard … La nuit est -presque- tombée …
L’amphithéâtre est bien chauffé, nous sommes tous ensemble réunis par tant d’éloquence attirés, émoustillés …
Alors je vous propose… non sans une pointe de gêne en des lieux si solennels … ce soir …
Une histoire. Oui, ce soir, je viens à vous en conteuse. Soyez rassurés, point de tragédie, ni de mélodrame, je m’apprête à vous narrer les aventures d’un Castor, l’adoré Castor de Sartre, Simone de Beauvoir. Alors débutons cette histoire comme il se doit…
Il était une fois, un castor. Un castor maniant à merveille à la fois plume et truelle, travaux manuels et exercices intellectuels. Ce castor – comme tout castor qui se respecte – a bâti. Il a construit des ponts entre nous et le firmament féministe. Patte après patte, notre Castor a progressé s’appuyant sur les solides fondations de ses aïeules. L’édifice est raffiné, empli de subtilités, mais non encore totalement achevé. Il est fragile, il est récent. Il n’a pas encore subi l’épreuve du temps. Une brise peut le briser, un souffle puissant le détruire à jamais.
Castor, conscient de sa fragilité, nous a livré à ce sujet un avertissement nous enjoignant de demeurer vigilante notre vie durant à toute crise qui le menacerait durement. Parce que oui, maintes fois, comme un ouragan, qui passait sur nous, les obscurantismes religieux, les expressions politiques radicales, la mondialisation effrénée ont tout emporté, autant d’incendies, qu’on ne peut plus arrêter. Comme un ouragan, les tempêtes ont maintes fois balayé le passé. Et ce pont fait de droits si chèrement acquis, qui voudrait le voir, à nouveau, s’envoler ?
Nombreux sont les exemples de crises ayant annihilé des dizaines d’années de lutte féministe : des iraniennes avant Khomeiny, à l’instar de Mistinguett, on disait qu’elles avaient … de belles gambettes… alors que maintenant rares sont celles qui osent dévoiler leurs têtes.
Et par ailleurs …. De curieuses collusions entre pouvoir pudibond et religieux réactionnaires pullulent. Les conséquences sont dramatiques. Un exemple ? La Pologne est à deux doigts de mettre un terme au droit à l’avortement. Et l’anticyclone réactionnaire polonais a engendré une sérieuse dépression dans le ciel européen progressiste entrainant dans sa chute l’Espagne alors frappée de plein fouet par une crise économique sans pareil.
Alors oui la vigilance est de mise ! Non, ces droits ne sont jamais acquis, oui, chacune et chacun doit être la tour de guet scrutant l’horizon et sonnant l’alarme à la moindre menace, chacune et chacun se doit d’être le soldat prêt à prendre les armes pour défendre l’édifice des droits.
Mais être vigilante … rien ne vous choque ? Etre vigilantE, eh bien moi il m’est apparu qu’une lettre était en trop. Un vulgaire « e » a bien failli tué dans l’œuf tout adhésion de ma part à l’affirmation de l’honorable Castor. Les droits des femmes seraient une affaire de femme à régler entre femmes ? Je ne le crois pas. C’est une affaire d’égalité. D’égalité de tous les êtres humains entre eux. Aucun groupe n’est dès lors plus légitime qu’un autre pour la défendre. Les hommes ont également un devoir de vigilance. Et cette maxime d’un coup ne me parait plus qu’à moitié pertinente dans le meilleur des cas, complètement sexiste dans le pire ! Argh Castor, cachez donc ce machisme que je ne saurai voir !
Et puis … tant qu’à être dans la critique… il me semble que la défense des droits des femmes n’est pas uniquement menacée lors d’une crise politique, religieuse ou économique. Je crois que le combat est quotidien et commence devant le balai à brosse ou l’évier de la cuisine. Oui, mesdames, messieurs, une des armes les plus redoutables contre le féminisme c’est le Paic Citron. Le féminisme a cette propriété finalement très particulière d’être soluble dans l’eau de vaisselle ! Ce que j’entends par là c’est que la lutte est perpétuelle et ne doit en aucun cas se limiter aux seuls temps de crise ! Chaque jour est non seulement vigilance mais lutte ! Parce qu’après tout, c’est bien connu, le féminisme c’est comme le ménage si on ne s’y colle pas régulièrement, on finit par s’habituer à la crasse.
Mais je le sais si la critique est aisée, l’art est difficile ! J’ai écrit un petit texte… quand elle a écrit le deuxième sexe. Je l’avoue depuis qu’on m’a dit que le sujet ce soir serait de Momone, je rayonne. Il fait beauvoir que la lutte pour l’égalité est encore d’actualité ! Alors citoyennes vigilantes, citoyens vigilants, je m’en vais retourner à mon ouvrage apporter ma petite branche à l’édifice des droits parce qu’après tout, on ne naît pas Castor, on le devient !
Retranscription du plaidoyer d’Amélie, finaliste –
Je rétorquerai à Simone de Beauvoir, qu’il suffit de bien moins qu’une crise pour que les droits soient remis en question. Les droits des femmes sont constamment menacés et remis en question. Je crois que personne ici n’est en mesure de citer un seul pays dans le monde, où l’intégrité des droits n’est pas menacée. C’est au contraire lorsque la routine implacable du quotidien s’impose, lorsque le peuple s’habitue à son confort, à ses petits ou grands privilèges, que le danger est au plus fort.
C’est là que nous perdons la vigilance. C’est là que nous perdons nos degrés d’humanité.
Quand l’indifférence est de mise.
Quand équilibre et status quo sont confondus.
Quand règne l’ordre.
Alors, on peut faire croire à ce petit peuple, que la menace vient d’Ailleurs, de l’Autre. Avec un “A” majuscule. Qu’Ailleurs, quelqu’un d’Autre rognera notre part du gâteau, simplement par le seul fait d’exister, et d’avoir été désigné, sinon coupable, néanmoins cause de nos malheurs réels ou éventuels. Ainsi, nous arrivons à craindre l’autre. Et à le prendre en haine.
Non, la menace qui pèse sur le respect de nos droits ne nous est pas étrangère ou extérieure. Elle est dans nos racines. Dans les récits de nos mémoires. Elle commence par les fantasmes qui ont formaté notre récit, au croisement entre les forces d’influence de l’histoire et de la fiction.
Elle commence avec le péché originel: Que nous disent les exégèses depuis des siècles, qu’avons-nous appris? Que la responsabilité de la faute est imputable à Eve. Adam n’avait-il donc aucun contrôle de ses actes? A cause d’Eve, nous aurions perdu le paradis? Les femmes seraient-elles donc enclines à être perfides, manipulatrices, ou au contraire excessivement naïves et influençables; en somme soit nocives, soit soumises et réduites à leur fonctions génitrices? A force que l’on nous dise que l’on est une chose, ne finit-on pas par la devenir?
Et bien, si nous ne sommes pas vigilants, oui, ça arrive.
La crise, malgré tous les ravages et la désolation qu’elle laisse derrière elle, est motrice de changement, elle est, par définition, temporaire. En situation de crise, les humains trouvent en eux des ressources extraordinaires auxquelles ils n’ont pas accès en temps normal. Les crises génèrent d’exceptionnels élans de motivation. Et elles débouchent invariablement sur un changement. Il reste à savoir si cet élan sera mis au service du meilleur, ou du pire. L’Histoire montre que sans crise, il n’y a que peu de grandes avancées, et peu de prises de conscience.
Au XXIème siècle, si l’on peut s’étonner de l’écart de progrès entre nos moyens matériels, nos technologies et la sagesse de nos morales, on peut tout de même se dire par moments, que nous avons accompli beaucoup de choses.
Je demande à chaque femme présente ici ce soir de prendre un moment et de s’interroger sur la condition qui aurait pu être la sienne quelques deux-cents ans en arrière. Je trouve cette pensée vertigineuse.Nous y arrivons. Si les droits ne sont pas encore respectés partout et tout le temps, les injures qui leurs sont faites, commencent à être reconnues. Définies. Écrites, observées, dénoncées.
Le viol a été reconnu par l’ONU en 2008 par la résolution 1820 comme crime et même arme de guerre. La mutilation génitale a sa journée mondiale de tolérance zéro, instaurée par l’UNICEF, le 6 février. Le mariage forcé, par une résolution de l’AG de l’ONU datant de 2014, est aboli et combattu. Et ce ne sont que trois exemples parmi d’autres. En matière de violences conjugales, peut-être cesserons-nous bientôt de parler de “crimes passionnels”.
Définir tous ces chefs d’accusation, ce n’est qu’un petit rouage dans la grande dynamique positive qu’il nous faut continuer de construire. Et pourtant c’est un processus d’envergure. Vous êtes sans doutes mieux placés que moi pour savoir que définir ces concepts et qualifier ces actes en termes juridiques, à échelle internationale, c’est compliqué, et ça prend du temps. C’est un travail de fond de longue haleine. C’est ce à quoi nous consacrons nos forces.
Je conclurai par une citation de Rosa Luxemburg, qui nous disait du fond de sa geôle:
“Faites en sorte de rester un être humain. C’est ça l’essentiel, être humain. Et ça, ça veut dire être solide, clair et calme, envers et contre tout, car gémir est l’affaire des faibles. Être humain, c’est s’il le faut, mettre sa vie toute entière sur “la grande balance du destin”, tout en se réjouissant de chaque belle journée et de chaque beau nuage.”