FÉMINISTES, PAIX ET SÉCURITÉ : CE QUE LES GUERRES FONT AUX CORPS

FÉMINISTES, PAIX ET SÉCURITÉ : CE QUE LES GUERRES FONT AUX CORPS

TW : Cet article aborde des violences sexuelles liées aux conflits armés. Certains contenus peuvent heurter la sensibilité des lecteur·rices.

Le 19 juin, Journée internationale pour l’élimination de la violence sexuelle en temps de conflit, nous rappelle une évidence trop souvent ignorée : les guerres se jouent aussi sur les corps des femmes et des filles. Des pays du Sahel à Gaza, de la RDC à Haïti, en passant par le Soudan à l’Ukraine, les violences sexuelles restent une arme de guerre, une stratégie de domination, dans un silence complice ou une impunité persistante. Ces violences ne sont ni accidentelles, ni marginales : elles sont systémiques. Et elles doivent être un point de départ pour repenser la paix, à partir de celles qui en paient le prix fort mais qui résistent, s’organisent, et tracent d’autres chemins de justice.

Une insécurité grandissante, des violences sexuelles qui explosent

 

Les violences sexuelles en temps de conflit ont été au cœur de la mobilisation internationale qui a conduit à l’adoption de la résolution 1325 il y a bientôt 25 ans, reconnaissant pour la première fois l’impact spécifique et disproportionné des conflits sur les femmes et la nécessité de leur participation aux processus de paix. Pourtant, la recrudescence des conflits dans plusieurs régions du monde, et notamment au Sahel, continue d’avoir des conséquences dramatiques sur les corps, les vies et les droits des personnes qui y vivent ; avec un impact spécifique, souvent démultiplié, sur ceux des femmes et des filles. Alimentée par la présence de groupes armés non étatiques, des conflits intercommunautaires, le banditisme armé et une instabilité politique persistante dans certains pays d’Afrique de l’ouest et du Sahel,, cette instabilité généralisée aggrave les crises humanitaires et compromet l’accès aux services de base comme la santé, l’éducation ou la protection. Selon un rapport d’ONU Femmes, environ 612 millions de femmes et de filles vivaient à moins de 50 kilomètres d’une zone de zone de conflit en 2023, soit plus de 50 % de plus qu’il y a dix ans.

 

Dans ce contexte de chaos et de militarisation, les violences sexuelles en temps de conflit ne cessent d’augmenter. Loin d’être des “dommages collatéraux”, elles sont utilisées comme armes de guerre, de terreur et de contrôle social. D’après les données onusiennes les plus récentes, le nombre de cas de violences sexuelles liées aux conflits confirmés a augmenté de 50 %, un chiffre qui ne représente qu’une fraction de la réalité, tant ces violences restent sous-déclarées. Les violations graves à l’encontre des filles dans les zones de conflit ont, elles, bondi de 35 %. 

 

Ces violences sexuelles prennent des formes atrocement multiples : viols collectifs utilisés comme méthode de terreur, mutilations génitales infligées pour humilier et briser, femmes réduites à l’esclavage sexuel dans les mines ou offertes comme « récompense » aux soldats. Dans certains contextes, des « camps de viols » ont été mis en place pour anéantir des communautés entières, les violences servant à détruire l’identité collective et à « nettoyer » ethniquement. Elles ont même été utilisées pour transmettre intentionnellement le VIH, comme arme de destruction à long terme. Ces violences touchent en premier lieu les groupes sociaux les plus marginalisés : jeunes filles déplacées, femmes vivant en milieux ruraux, personnes en situation de handicap, personnes migrantes, communautés stigmatisées. Elles sont le reflet de systèmes de domination croisés antécédents aux conflits, où le genre, la classe, l’origine ou la situation de handicap exposent à des violences extrêmes et souvent invisibilisées.

Réponses féministes ancrées dans les réalités locales

 

Dans un contexte de crises prolongées, de militarisation croissante et d’effondrement des services publics, les femmes et les filles vivant dans les zones en insécurité sont souvent considérées uniquement à travers le prisme de leur vulnérabilité. Elles sont délibérément ciblées par des groupes armés, mais aussi exposées aux violences des forces gouvernementales, des communautés ou au sein des foyers. L’accès à la santé, à l’éducation et à la protection sont dans ces contextes, très limités, et l’absence de l’État exacerbe la précarité des survivantes et leur isolement.

 

Face à cela, les approches féministes appellent à une réponse radicalement différente. Plutôt que de réduire les femmes à un statut de victimes passives, il est plus qu’urgent de les accompagner comme actrices de paix, de justice et de transformation sociale, capables d’influencer les politiques publiques et les pratiques du local au national. Ce sont elles, souvent en première ligne, qui accompagnent les survivantes, documentent les violences, reconstruisent les solidarités et portent des alternatives. 

 

Dans le cadre du projet “Pour des agendas FéminISTES, Paix et Sécurité” financé par le Fonds de Soutien aux Organisations Féministes de l’Agence Française de développement, et mis en œuvre par Equipop en consortium avec Diakonia, Femmes, Actions et Développement et Gorée Institute ; des actrices au Bénin, au Burkina, en Côte d’ivoire, au Niger, au Tchad, et au Togo* élaborent leurs propres lectures et solutions aux conflits, à la sécurité, et à la violence, à partir de leurs vécus, de leurs besoins, de leurs combats. Comme le rappelle le Dr. Denis Mukwege, ces violences sexuelles sont une arme de guerre d’une efficacité redoutable, utilisée pour briser des communautés. La justice réparatrice de ces atrocités, ne peut exister si les récits, savoirs et pratiques endogènes des femmes africaines restent périphériques dans la définition même de ce qu’est la sécurité. Ces réponses féministes rappellent qu’on ne peut lutter contre les violences sexuelles sans repenser en profondeur les normes de sécurité et de pouvoir dans nos sociétés portant les stigmates du patriarcat.

Vers les 25 ans de la résolution 1325 : l’heure de la justice féministe 

 

Les violences sexuelles en temps de conflit ne sont pas des dérives isolées, elles sont révélatrices de la structure même des rapports de domination. Elles ne surgissent pas uniquement en période de crise ; elles s’y aggravent, parce qu’elles sont enracinées dans des normes patriarcales préexistantes. Mais face à cette réalité, les réponses internationales restent encore trop centrées sur la protection, et pas assez sur la transformation. 

 

Les indicateurs et données sur les violences sexistes et sexuelles demeurent insuffisants, ce qui masque l’ampleur réelle de ces violences. Par ailleurs, la participation des survivantes et des femmes dans les processus de paix est encore trop marginale, limitant ainsi la prise en compte de leurs besoins et revendications spécifiques. Les initiatives locales menées par des femmes et des filles dans les zones d’insécurité peinent à être reconnues et soutenues. Ces limites ne sont pas anecdotiques : elles traduisent un refus systémique d’intégrer les approches féministes et les savoirs locaux dans la conception des politiques de sécurité et de lutte contre les violences sexuelles.

 

C’est cette vision que nous devons porter collectivement, pour que les 25 prochaines années de l’agenda Femmes, Paix et Sécurité soient celles de la justice féministe, et non de la répétition.