– Sang pour Sang : un projet mondial pour défendre la dignité menstruelle
Lancé en octobre 2024, le projet Sang pour Sang : uni.e.s pour la dignité vise à changer le traitement narratif des menstruations, qui ne se réduisent pas à une simple question d’hygiène. Grâce à un financement AFD – FSOF (Fonds de soutien aux organisations féministes), ce projet, porté en consortium avec trois autres ONG, a pour objectif de mettre l’égalité de genres et les droits humains au cœur des menstruations afin que les personnes menstruées les vivent en toute dignité. Interview avec Floriane Klinklin Acouetey, féministe togolaise et experte genre, chargée du projet Sang pour Sang chez Equipop.
Quels sont les enjeux du projet Sang pour Sang : uni.e.s pour la dignité ?
Floriane Klinklin Acouetey : Dans de nombreuses régions du monde, que ce soit en Afrique, en Asie ou en Europe, les menstruations sont encore jugées sales, impures ou taboues. Lorsqu’elles ont leurs menstruations, des personnes menstruées n’ont pas le droit d’aller à l’école, de travailler et sont isolées du reste de la population. Sur le terrain, des organisations de la société civile, surtout des associations féministes, luttent déjà contre ces discriminations mais elles manquent de fonds. En consortium avec les ONG Fos Feminista, PSI-Europe, et Global South Coalition for Dignified Menstruation (GSCDM), Equipop a donc proposé un projet retenu par l’Agence Française de Développement (AFD) pour bénéficier d’un Fonds de soutien aux organisations féministes (FSOF).
Chaque année, le 28 mai marque la Journée mondiale de l’hygiène menstruelle. Mais il faut avant tout mettre les droits humains, pas seulement l’hygiène, au cœur de la question des menstruations. C’est l’enjeu majeur du projet Sang pour Sang : uni.e.s pour la dignité, implanté dans neuf pays d’Afrique de l’ouest, d’Asie, d’Amérique latine et des Caraïbes dont deux pays d’apprentissage (Népal et Ethiopie).
Ce projet vise à repenser les menstruations comme une question de dignité et de droit humain. En quoi cette démarche est-elle innovante ?
La société patriarcale tend à réduire les menstruations à un problème d’hygiène, négligeant les questions de dignité et les besoins d’informations. Par exemple, les douleurs menstruelles, les troubles comme l’endométriose ou le SOPK (syndrome des ovaires polykystiques) sont peu compris ou abordés. De plus, les produits menstruels sont présentés de manière limitée, sans explication des impacts sur la santé et l’environnement ou des alternatives possibles. Les menstruations sont souvent à l’origine de discriminations sociales, éducatives et professionnelles. Par exemple, une jeune fille ayant ses règles à l’école peut craindre d’être moquée ou isolée, ce qui impacte sa scolarité. Dans certaines cultures, les règles marquent aussi le passage à des pratiques comme le mariage forcé.
Enfin, la perception sociétale des menstruations les stigmatise, les réduisant à un sujet privé alors qu’elles devraient être reconnues comme un aspect naturel et légitime de la vie, nécessitant une prise en compte dans les droits fondamentaux. Toutes ces problématiques ne seront pas résolues uniquement par des infrastructures sanitaires. Une approche féministe et donc basée sur les droits est nécessaire pour combattre ces discriminations et promouvoir la dignité des personnes menstruées.
Qui sont les groupes cibles concernés par le projet Sang pour Sang ?
Le projet s’adresse aux personnes menstruées, c’est-à-dire les femmes et les filles, mais aussi les personnes non conformes au genre, LBTQ+ et les groupes marginalisés, comme celles en situation de handicap ou vivant dans un contexte humanitaire/fragile. Les jeunes, filles et garçons, sont également ciblés, car les menstruations touchent à la question des droits sexuels et reproductifs.
Une attention particulière est portée aux hommes et aux garçons, souvent peu informés sur les menstruations. L’objectif est d’en faire des vecteurs d’information et des alliés, plutôt que des sources de moqueries ou de stigmatisation. Les sensibiliser permet de déconstruire les tabous et de prévenir les traumatismes pour les personnes menstruées. Cette démarche féministe met l’accent sur l’éducation, la compréhension mutuelle et la lutte contre les inégalités liées aux menstruations.
Comment Equipop va intervenir dans ce projet ?
Le projet Sang pour Sang est mis en œuvre dans neuf pays des Suds, dont trois en Afrique de l’ouest (Bénin, Côte d’Ivoire et Guinée Conakry) où Equipop intervient. Nous avons d’abord établi une cartographie des acteur.trices et écosystèmes (cadres politique et légal) dans ces pays : les organisations et activistes de la société civile déjà actives sur les questions menstruelles, en particulier les associations féministes et celles travaillant avec des groupes marginalisés (personnes handicapées, en milieu carcéral, en milieu humanitaire, ou non conformes au genre). Nous apporterons ensuite un soutien financier le plus flexible possible mais aussi technique dans un accompagnement à la carte aux associations volontaires. Le projet permettra par ailleurs de soutenir des initiatives collectives de mobilisation politique et sociale au niveau national et régional pour changer les mentalités et influencer les lois et les politiques, encore peu inclusives.
Des espaces d’échanges et d’apprentissage seront créés entre les différents pays d’intervention autour des bonnes pratiques et des actions qui ont fonctionné. Les synergies entre féministes et entreprises sociales et solidaires seront renforcées pour faciliter l’accès à des produits menstruels respectueux de l’environnement et des personnes menstruées.
Enfin, ce sera l’occasion pour Equipop de valoriser les expériences des associations féministes tout en apprenant à leurs côtés. En s’appuyant sur la force du collectif, ce projet va nous permettre de grandir et d’agir ensemble. Il est essentiel de changer le narratif autour des menstruations pour que les personnes menstruées puissent les vivre en toute dignité.