75ème anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits Humains : des enjeux plus que jamais actuels
Le 10 décembre 2023 marque le 75ème anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits Humains. Equipop et de nombreuses organisations de la société civile à travers le monde soulignent le fait que ce texte fondateur demeure plus pertinent que jamais pour défendre les droits de tous et toutes. Cet anniversaire est l’occasion de rappeler qu’il est indispensable d’aborder les enjeux de défense des droits humains à travers un prisme féministe.
Le 10 décembre 1948, à Paris, l’Assemblée générale des Nations unies adoptait la Déclaration universelle des droits humains (DUDH). Le texte, qui a depuis été décliné dans de nombreux engagements internationaux, reste trois quarts de siècle plus tard la référence mondiale en matière de liberté et d’égalité, et de protection des droits de chaque personne.
Pour marquer cet anniversaire, Equipop et 278 organisations de la société civile du monde entier publient un communiqué commun pour réaffirmer nos engagements “à défendre l’universalité des droits”.
Si la date choisie est bien sûr symbolique, le principe que nous défendons, lui, n’a rien de symbolique. Bien que simple, il est fondamental : “tous les êtres humains, peu importe qui ils sont et où ils se trouvent, ont droit à la pleine réalisation de tous leurs droits sans discrimination”.
Nos organisations de la société civile qui, de par le monde, s’efforcent à faire de ce principe une réalité, appellent les États à “soutenir cette vision audacieuse et inclusive à l’ONU et dans les organismes multilatéraux régionaux, ainsi que dans leurs propres pays, en alignant les lois et les politiques pour respecter, protéger et réaliser tous les droits humains pour tous et toutes”.
Attaques déguisées ou frontales contre les droits humains
Dans les espaces multilatéraux, les droits humains sont constamment attaqués par des organisations et des acteurs anti-droits. Pour faire avancer leur agenda, ils manipulent notamment le langage onusien liés aux droits humains : “droit à la vie”, “consécration de la famille”. L’objectif est de saper les progrès obtenus, en particulier en matière de droits des femmes et droits LGBTQIA+.
A l’occasion, justement, des 75 ans de la DUDH, le gouvernement conservateur du Guatemala a sponsorisé le Sommet Transatlantique, un événement organisé à l’ONU, à New York, par plusieurs mouvements anti-droits. L’objectif affiché de “célébrer les droits humains en restaurant le sens originel de la DUDH” reflète cette rhétorique, alors qu’en réalité, c’est une remise en cause pure et simple des droits humains fondamentaux pour l’égalité de genre.
Les défenseur·e·s des droits humains subissent ce backlash dans de nombreux contextes, que ce soit dans l’espace numérique ou dans les institutions internationales. Les mouvements anti-droits cherchent notamment à faire retirer aux organisations féministes leur statut d’observatrice à l’ONU ou au sein de l’Union Africaine.
Lutter collectivement contre le backlash
Il est donc nécessaire de renforcer la mobilisation internationale et créer des alliances pour protéger ces droits et les activistes qui œuvrent pour les défendre. Equipop y contribue à plusieurs niveaux depuis longtemps. Autour de ce 75ème anniversaire, nous le faisons dans trois espaces en particulier.
Le 21 novembre, nous avons organisé une conférence à Genève sur le thème « Face au backlash : Promouvoir les droits et la santé sexuels et reproductifs dans les espaces multilatéraux ». Elle a rassemblé une diversité d’acteurs et actrices de l’écosystème genevois, comme les représentations permanentes de la France, de l’Espagne et du Mexique, mais aussi le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, ainsi que des activistes et organisations de la société civile.
Equipop a également participé à une table ronde lors de la troisième édition de la Nuit des droits sociaux, organisée le 9 décembre par la Fondation Rosa Luxembourg et l’association Civic City. Nous y avons proposé des pistes d’actions collectives pour protéger les droits humains face au backlash.
En tant que membre de la Plateforme des Droits Humains, nous organiserons également une masterclass le 14 décembre pour alerter les acteurs et actrices de la société civile sur le phénomène de backlash et des mouvements anti-droits, et les sensibiliser au travail des activistes sur ces questions, notamment en Afrique de l’Ouest.
De l’importance du langage pour une vision transformatrice de nos sociétés
Le 10 décembre, le jour même du 75ème anniversaire, le gouvernement français organisait un évènement au palais de Chaillot – l’endroit même où avait été officialisée la Déclaration Universelle. Bien que la France, comme de nombreux Etats, doive être critiquée pour l’application des droits humains à géométrie variable, il n’en reste pas moins qu’il est essentiel que les Etats rappellent les engagements pris en 1948 et se mobilisent contre les offensives anti-droits au niveau mondial.
Il est cependant sur ce sujet un détail lié à la langue française qui n’en est pas un. La plupart des prises de paroles officielles parlent de “droits de l’homme” (avec un petit ou un grand H), et très rarement de “droits humains”.
Un rappel historique s’impose. Eliane Viennot, professeure émérite de littérature française, historienne, explique très bien qu’en 1948, déjà, le choix du terme anglais “Human Rights” (droits humains) plutôt que Rights of Man (droits de l’Homme), n’avait rien d’anodin : “(…) plusieurs délégations – menées par la française – entendaient conserver l’appellation Declaration of the Rights of Man, venue de la Révolution. Ce sont des femmes, au premier rang desquelles Eleanor Roosevelt, qui imposèrent la nouvelle appellation, en arguant du fait que la nouvelle Déclaration incluait les femmes, au contraire de l’ancienne, et que la vieille formule devait donc être abandonnée.”
De fait, de nos jours, le terme “Human rights” est traduit dans la quasi totalité des langues en équivalent de “Droits humains” ; « derechos humanos » en espagnol, « diritti umani » en italien, « Menschenrechte » en allemand, pour ne citer que les langues européennes.
Cet enjeu est bien sûr à replacer plus largement dans le faux débat sur l’écriture inclusive, mal comprise – involontairement ou pas – par une grande partie de la classe politique, et notamment par le président de la République, Emmanuel Macron, qui a récemment réitéré son souhait d’enterrer officiellement l’écriture inclusive.
Condamner l’écriture inclusive (outre l’aberration technique que cela représente, puisqu’elle est déjà largement utilisée pour l’identité civile), c’est soutenir une vision patriarcale du langage. Une vision dans laquelle « l’homme contient la femme », comme l’admettent eux-mêmes les défenseurs des Hommes. Précisément, l’un des sens du verbe contenir est : « Empêcher (des personnes, des groupes) d’avancer, de s’étendre. Contenir les manifestants. » L’Homme “contient” donc la femme, pour perpétuer le système patriarcal qu’il prétend dénoncer par ailleurs.
« Lorsque le masculin est employé pour parler des femmes, c’est bien plutôt parce qu’il « fait l’homme », le dominant, ce qu’on l’a encouragé à faire, en France, depuis le XVIIe siècle » souligne également Eliane Viennot dans une Tribune publiée le 7 novembre dans Le Monde.
Les “droits de l’Homme”, donc, n’ont jamais concerné les femmes. Ils ont été, dès l’origine, pensés, écrits, votés et adoubés exclusivement par des hommes qui, à l’époque étaient les seuls à avoir une capacité juridique. Les femmes étaient tout simplement invisibles. Pour souligner cet état de fait, Olympe de Gouge a payé de sa vie.
La terminologie française découle d’une longue histoire. Il est grand temps de la faire évoluer. Dans aucune autre langue dans le monde, cette dissonance ne se fait encore ressentir. C’est ce que l’on appelle une mauvaise exception française.
Si la France veut continuer à défendre l’universalité des droits, alors elle doit entériner le vocable “droits humains”. Cela ne présente d’ailleurs aucune difficulté d’écriture, et ne changera rien aux acronymes concernés. La DUDH restera la DUDH, mais, 75 ans plus tard, dans sa version française, elle reprendra enfin toute sa portée universelle.