– Présidentielle aux Etats-Unis : pourquoi ces élections sont cruciales pour le droit à l’avortement dans le monde ?

– Présidentielle aux Etats-Unis : pourquoi ces élections sont cruciales pour le droit à l’avortement dans le monde ?

Le 5 novembre 2024, près de 244 millions d’électeur·ices se rendront aux urnes pour élire la prochaine ou le prochain président·e des Etats-Unis. Les sondages annoncent une bataille serrée entre Kamala Harris et Donald Trump, notamment dans les États clés où tout se jouera à quelques voix près. Une victoire de Donald Trump aurait des répercussions majeures, bien au-delà des frontières américaines, avec des conséquences sur les droits de santé sexuels et reproductifs, et l’égalité de genre tant sur la scène nationale qu’internationale. 

Les droits et la santé sexuels et reproductifs : une ligne de fracture exacerbée dans la campagne 2024

La question du droit à l’avortement a toujours été un point de clivage entre Démocrates et Républicains, mais la fracture s’est davantage accentuée après l’annulation en 2022 de l’arrêt Roe vs. Wade, qui a remis l’IVG sur le devant de la scène. Cette décision a eu un retentissement international, donnant au débat une portée mondiale.

 

Lors du débat télévisé entre Kamala Harris et Donald Trump du 10 septembre 2024, l’ancien président des Etats-unis a propagé des fausses informations au sujet de l’avortement, qui ont été démenties par la journaliste d’ABC Linsey Davis, ainsi que d’autres déclarations racistes du candidat républicain. Il s’agit d’une stratégie typique des anti-droits pour diaboliser le droit à l’avortement et stigmatiser les femmes qui y ont recours ainsi que les professionnel·le·s de santé qui les accompagnent. Face aux propos misogynes de Donald Trump, Kamala Harris a quant à elle promis dès le lancement de sa campagne de placer le droit à l’avortement au cœur de sa stratégie électorale, en affirmant dans son premier discours en juillet qu’elle signerait toute loi du Congrès visant à restaurer ce droit.

 

Dans son rapport sur le backlash, Equipop avait déjà souligné les dangers de l’administration Trump pour les droits des femmes et des personnes LGBTQIA+. Sous son mandat, des lois sur l’égalité de genre et les droits et santé sexuels et reproductifs (DSSR) ont été attaquées, comme la couverture des contraceptifs, l’égalité salariale, les mesures contre les violences sexistes et sexuelles ainsi que des protections légales pour les personnes LGBTQIA+. Le “Global Gag Rule” (“règle du bâillon mondial”) a suspendu les financements des Etats-Unis ayant trait à l’accès à l’avortement à l’international. Ces actions ne sont que les prémices de ce que pourrait entraîner un second mandat Trump, qui serait d’autant plus catastrophique s’il applique le “Projet 2025”. 

S’il est mis en œuvre, le “Projet 2025” provoquera une onde de choc internationale

Ce mois-ci, RFSU, partenaire d’Equipop en Suède, a publié un rapport alertant sur le “Projet 2025”, un plan ultraconservateur qui vise à durcir les lois anti-genre et à saper les droits sexuels et reproductifs. Élaboré sous l’égide du très influent think tank ultraconservateur « Heritage Foundation », et soutenu par plus de 80 associations et organisations dont des groupes catholiques et évangéliques, le “Projet 2025” se présente comme une feuille de route adressée à la prochaine administration au pouvoir en 2025. 

 

Malgré les dénégations publiques de Donald Trump concernant son implication dans le “Projet 2025”, une enquête de CNN révèle qu’au moins 140 ancien·nes membres de son administration y ont contribué. Ce projet présente une série de recommandations politiques qui vont bien au-delà de la seule restriction de l’avortement, en prévoyant par exemple de limter l’accès à la contraception. S’il est mis en œuvre, ce projet aura des conséquences sur la santé maternelle et l’égalité de genre plus largement. Le programme repose sur une vision extrême de la Constitution américaine, la « théorie de l’exécutif unitaire », centralisant le pouvoir exécutif autour du président. Engagée dans plusieurs processus intergouvernementaux, comme la Commission sur le statut des femmes (CSW) de l’ONU ou le G7, Equipop a été témoin des tentatives de sabotage de l’administration Trump lors des négociations, remettant en cause des éléments aussi basiques que l’utilisation du mot “genre”. Avec ses partenaires, Equipop se mobilise depuis des années contre ce “backlash”.

 

Au-delà de la figure de proue de Donald Trump, les mouvements anti-droits s’organisent sur tous les continents. D’autres dirigeant·es, comme Javier Milei en Argentine, qui a l’intention d’abroger la loi garantissant le droit à l’avortement, ou Viktor Orbán, qui a durci la législation en 2022 en obligeant les femmes à écouter les battements de cœur du fœtus avant une IVG, partagent cet agenda anti-choix et rétrograde. En Côte d’Ivoire, les discours homophobes se multiplient, tandis qu’au Sénégal, l’interdiction totale de l’avortement, influencée par les mouvements anti-choix, reste en vigueur. En France aussi, les idées d’extrême droite se renforcent dangereusement, comme en témoignent la montée du RN et la surenchère des LR qui adoptent une rhétorique de plus en plus conservatrice, notamment sur l’avortement et les droits des personnes LGBTQIA+. Lors des débats pour la constitutionnalisation de l’IVG, des LR avaient ainsi proposé un amendement invoquant « la protection de la vie à naître ».

 

S’il est mis en œuvre, le “Projet 2025” provoquera une onde de choc internationale. Ses auteurs entendent transformer la diplomatie américaine en promouvant, au sein des instances internationales telles que l’ONU, des programmes anti-choix et anti-LGBTQ+. Ils visent à redéfinir les droits humains, en dévoyant les normes établies par la Déclaration universelle des droits de l’homme et d’autres conventions internationales. En outre, ils prônent un retrait américain des organisations internationales et des alliances diplomatiques traditionnelles. Avec la montée de l’extrême droite en Europe, il y a un risque que ce projet serve de modèle aux groupes d’extrême droite au sein du Parlement européen et dans les pays eux-mêmes. Enfin, ce projet conduirait les Etats-Unis, qui sont actuellement les premiers donateurs d’aide publique au développement, à couper drastiquement leurs financements en faveur de l’égalité de genre et de l’accès à la santé. A titre d’exemple, selon le rapport de RFSU, les financements du gouvernement des Etats-Unis représentent aujourd’hui 74% de tous les financements gouvernementaux alloués à la lutte contre le VIH dans le monde. 

 

Enfin, le rapport de RFSU rappelle que même en cas de victoire de Kamala Harris en novembre, le “Projet 2025” continuera d’exister et d’infuser dans les politiques publiques. La Déclaration de Genève sur le Consensus, opposée à l’avortement est inspirée de ce projet,  influence toujours la diplomatie de nombreux Etats, malgré le départ de l’administration Trump.  Aujourd’hui, des organisations liées au “Projet 2025”, comme l’Institute of Women’s Health (IWH), continuent d’en faire la promotion et de rallier de nouveaux signataires, avec le soutien du gouvernement hongrois. 

Solidarité avec les femmes aux Etats-Unis et dans le monde : comment faire reculer ces discours et mouvements anti-droits ?

Alors que les diplomaties féministes européennes connaissent un coup d’arrêt, notamment avec leur abandon en Suède et le retrait d’autres gouvernements comme les Pays-Bas, le rôle de la France devient d’autant plus crucial. La récente nomination du nouveau gouvernement français suscite de nombreuses interrogations parmi les associations féministes, qui sont sceptiques sur la place qu’occuperont les droits des femmes, au regard notamment des prises de position anti-féministes et lgbtphobes de plusieurs ministres. Michel Barnier a certes affirmé que les droits acquis par la loi Veil et le mariage pour tous seraient “préservés”, mais cela doit s’accompagner de mesures fortes, y compris à l’international. Lors de sa participation à l’Assemblée générale des Nations unies, le ministre Jean-Noël Barrot a réannoncé la tenue de la prochaine conférence sur les politiques étrangères féministes en France en 2025 et appelé ses homologues à défendre le droit à l’avortement dans le monde. C’est la ligne qu’il faut tenir afin de mettre en oeuvre les engagements de la « diplomatie féministe » française, dont la nouvelle stratégie est attendue prochainement. 

 

Les médias ont aussi un rôle clé à jouer pour décrypter ces élections avec une grille d’analyse qui intègre la question du genre et des droits sexuels et reproductifs, notamment en invitant des expertes féministes sur les plateaux et dans les colonnes des journaux.

 

En tant que citoyen·ne·s, enfin, il est essentiel de manifester notre solidarité envers les femmes aux états-Unis et partout où le droit à l’avortement est bafoué. Dans cette lignée, Equipop appelle à rejoindre l’appel à manifester du Collectif Avortement en Europe, les femmes décident de ce samedi 28 septembre, à l’occasion de la Journée internationale pour le droit à l’avortement.