– Le récit : une transmission de la lutte
Le Réseau des Jeunes féministes d’Afrique de l’Ouest et Equipop organisaient, le 26 janvier 2023, la cinquième édition du cycle Sororités francophones. Objectif de cette rencontre : mieux comprendre les enjeux liés aux récits féministes.
Parler de soi est difficile. C’est se mettre à nu, s’exposer au regard des autres qui nous sont inconnu·e·s. Mais ça peut également être une option pour aider des femmes et filles en leur donnant une voix à laquelle s’identifier et dans laquelle leur propre histoire se reflète.
Marquées par les récits d’autres figures noires féministes comme Maya Angelou ou Alice Walker, trois personnalités ont enrichie la discussion sur les récits féministes et leur transmission lors de la rencontre Sororités francophones :
- Axelle Jah Njiké, autrice afropéenne, dramaturge, créatrice de contenus sonores, productrice, chroniqueuse et militante féministe païenne ;
- Pascale Solages, de l’organisation féministe Nègès Mawon à Haïti ;
- Fabiola Mizero, consultante en développement organisationnel et sur les enjeux de genre en Afrique et créatrice et host du podcast South Side Stories.
Toutes les trois reviennent sur la façon dont elles racontent leurs propres récits, sur leur importance, sur la redéfinition nécessaire de termes clés, sur les différents médiums que peuvent prendre les récits ainsi que sur le rôle de l’art dans la transmission de la parole.
Des récits de l’intime au politique
Pour Pascale Solages, parler de soi permet de construire “ sa lutte pour les femmes et les filles, pas d’un point de vue égoïste parce qu’on essaye de se guérir soi-même, mais de se dire que ce sont des expériences, des vécus partagés”. Une démarche politique qui permet aux femmes ayant vécu des expériences douloureuses de les utiliser consciemment. Le récit constitue un outil d’autoréflexion et de développement personnel qui peut prendre une dimension politique et permet aux individus de transmettre des connaissances, des pensées, d’exprimer des émotions par le biais de leur voix.
C’est la démarche adoptée par Axelle Jah Njiké qui tend son micro à d’autres pour aborder des sujets de l’intimité ayant un aspect universel et jusqu’alors délaissés dans les conversations féministes noires, tels que l’entrée en puberté ou le premier baiser. “Le récit de l’intimité permet de créer des passerelles entre des personnes qui pensent ne rien avoir en commun”. Pour elle, la question des mutilations génitales féminines revêt un aspect universel : “on a tendance à penser que cette question ne touche que les femmes touchées par la mutilation […]. A titre collectif, ce n’est pas mis sur le devant de la scène comme une atteinte qui nous est faite à toutes, car, au cœur de cette pratique, c’est le plaisir des femmes qui est considéré comme indésirable”. Le récit est donc fédérateur, capable de regrouper des femmes sur des sujets autour desquels elles ne se seraient pas senties concernées au premier abord.
Le pouvoir des mots
Pour parler de soi et en faire quelque chose de transformateur, il faut donc trouver son intention, son but, pour oser s’ouvrir aux autres. A force de rencontrer des personnes partageant des vécus similaires, Fabiola Mizero s’est décidée à bâtir sur son vécu pour agir collectivement. Ces espaces, lieux de guérison, se sont transformés en médiums d’expression et d’organisation au fil du temps.
Les trois intervenantes ont insisté sur l’importance de certains mots-clés dans leur histoire. Pour Pascale Solages, le mot qui définit son combat est negesse, créole haïtien du mot négresse. Le dire et l’écrire constitue pour elle une forme de rébellion dans un langage qui invisibilise systématiquement les femmes dans les luttes de son pays. Elle mène un combat linguistique avec la volonté d’amener les femmes dans le discours national, mais aussi de changer le sens même du mot.
Quant à Axelle Jah Njinké, c’est en recherchant la définition du mot Viol dans les pages d’un dictionnaire qu’elle a pû comprendre et se réapproprier une partie de son passé et de son intimité. En découvrant plus tard des ouvrages de littérature érotique écrits par des femmes, elle a ensuite réappris l’intimité féminine et compris l’importance de ces sujets dans les discussions féministes.
Le bon médium
Le médium d’expression à son rôle à jouer. Le podcast, choisi par Axelle Jah Njiké et Fabiola Mizero, permet de se libérer de la stigmatisation dont sont victimes les femmes noires. La voix devient un moyen de résonance chez l’autre, peu importe sa couleur de peau : “ce type de contenu ne s’adresse pas qu’aux personnes noires”. L’art de raconter devient un moyen de transformer les sociétés.
Ainsi, l’objectif commun des trois intervenantes est de réunir les femmes, précisément les femmes noires, dans un espace où elles peuvent s’identifier et échanger. Pascale Solages souhaite “créer des espaces où les femmes peuvent exister pour elles-mêmes”. Fabiola, considère que ses récits s’adressent à des femmes qui partagent une infime partie de son vécu, et de manière plus générale aux femmes noires.
Pour Axelle Jah Njiké, la raison pour laquelle elle partage ses récits tient plus du traitement thérapeutique. Elle écrit “pour la jeune fille, l’adolescente que j’ai été et qui a tellement manqué de ces récits”.