– “Épuisement Militant” – Sororités francophones #3
Dépression, fatigue chronique ou encore perte de motivation, l’épuisement militant est une réalité à prendre sérieusement en compte pour améliorer le bien-être des activistes. Equipop et le Réseau des Jeunes Féministes d’Afrique de l’Ouest ont consacré la troisième rencontre du cycle “Sororités francophones” à la question du burn out militant.
“ A partir du moment où l’on est féministe, nous sommes un danger pour le patriarcat, et donc nous sommes en danger”, constate l’activiste tunisienne Ahlem Bousserwel. Dès lors que des féministes s’expriment publiquement, elles s’affichent comme des leviers de changement social, et deviennent la cible potentielle de la résistance à ce changement, et donc de harcèlement, particulièrement sur les réseaux sociaux.
La psychologue sénégalaise Aminata Libain Mbengue rapporte de nombreux témoignages de féministes sur les réseaux sociaux qui expriment leur épuisement et les difficultés qu’elles rencontrent dans leur militantisme. Elle-même a été la cible de cyberharcèlement. Pour elle, la violence est un outil dans l’arsenal du patriarcat pour réduire les paroles des militantes et leurs interventions.
L’épuisement militant peut être démultiplié par de multiples facteurs qui touchent les féministes, et provoquent une grande culpabilité lorsqu’elles essayent de prendre du recul :
- violences physiques ou psychologiques ;
- stéréotypes ancrés dans nos sociétés ;
- surmenage au sein des associations et organismes ;
- saturation de demande d’aide et de témoignages de survivantes de violences.
Le 13 avril 2022, trois intervenantes féministes ont enrichi de leur partage d’expérience la rencontre Sororités francophones consacrée à l’épuisement militant
- Aminata Libain Mbengue est psychologue clinicienne sénégalaise. Elle a mis en place, en tant que professionnelle, des actions pour venir en aide aux militantes féministes.
- Ahlem Bousserwel est militante tunisienne des droits humains, actuellement secrétaire générale de l’Association Tunisienne des Femmes Démocrates (ATFD).
- Marie-Renee Nwoe est psychologue camerounaise, activiste spécialisée sur les questions de genre et de sexualité.
Repérer les signes de l’épuisement
Les féministes sont souvent victimes d’un double épuisement. D’abord psychologique, car elles ont le sentiment que leur action est vaine et vivent des traumatismes par procuration. Physique, ensuite, car elles ont une charge de travail immense qui entraîne une perte d’énergie. Cet épuisement, qui peut avoir des conséquences importantes sur la santé mentale et physique des militantes, peut être repéré par quelques signes. Selon Marie Renée Nwoes, psychologue camerounaise, ces signes varient selon les militantes, mais on peut souvent noter de la démotivation, du stress, des maladies. Si la personne souffrant d’épuisement ne parvient pas à parler ou à le reconnaître, il est important que chacune fasse attention aux autres et puisse donner l’alerte.
La sororité pour contrer l’épuisement militant
“Le premier matériel avec lequel on travaille en tant que féministe, c’est notre propre vécu, notre propre histoire. On doit identifier nos limites”. Comme l’explique Aminata Libain Mbengue, l’une des premières étapes pour lutter contre l’épuisement est d’identifier ses propres limites par rapport à son histoire personnelle, et de les partager avec ses soeurs féministes. Marie-Renée Nwoes recommande elle aussi aux militantes épuisées d’identifier les sujets sur lesquels elles peuvent être à l’aise, intervenir, apporter de l’aide aux autres militantes, lâcher prise.
Une autre clé est de s’autoriser à prendre du recul et s’imposer des temps de pause, et donc “sortir de cette impression que l’on a d’être seule au monde, en partageant avec nos soeurs”, comme l’illustre Aminata Libain Mbengue. Pour cela, il est important pour les féministes de prendre conscience que ce combat est collectif et qu’il ne peut pas être mené seule. Le fait pour les féministes de travailler en groupe, de se mettre en lien avec d’autres associations, d’autres collectifs féministes, leur permettent de se relayer, de transférer les sollicitations et de porter à plusieurs le poids d’un combat féministe énergivore.
Les féministes peuvent aussi créer collectivement des mécanismes de soutien et de ressourcement, notamment en utilisant des espaces non-mixtes féministes, bienveillants et sécurisés. Dans ces espaces, elles pourront à la fois se confier sur leurs difficultés, mais aussi chercher de la légèreté, en s’autorisant à se faire plaisir. Ahlem Bousserwel a expliqué qu’en Tunisie, “Nous avons besoin de renforcer cette sororité pour nous ressourcer les unes les autres et avoir une volonté commune”. Pour cela, les militantes tunisiennes utilisent par exemple des mécanismes d’écoute solidaire et de supervision entre militantes plus ou moins expérimentées. La sororité devient un outil de lutte essentiel pour permettre aux militantes de tenir sur le long terme.
Le cycle de conférences Sororités Francophones s’inspire d’une première édition qui a eu lieu le 23 juin 2021 lors du Tour du Monde Féministe, en amont du Forum Génération Égalité (FGE). L’initiative prise par Equipop et le Réseau des Jeunes Féministes d’Afrique de l’Ouest résulte d’une volonté de créer un espace consacré à la réflexion autour des féminismes et de la sororité. Les rencontres permettent d’aborder de multiples thèmes en confrontant des expériences et des vécus différents. L’objectif est d’enrichir les connaissances sur les féminismes pluridisciplinaires et intergénérationnels. L’idée est de créer un réseau d’entraide et de mettre en commun les réflexions des différentes participantes.
Ce projet bénéficie du soutien financier de l’AFD et des Affaires Mondiales Canada.