– Cultiver nos solidarités internationales féministes : récit du voyage d’échanges à Lyon
Les féministes de différents pays ont accumulé des savoirs, des stratégies et des succès dans leurs luttes locales. La solidarité internationale féministe permet d’échanger ces pratiques et de s’en inspirer pour renforcer les combats à l’échelle internationale. Pour faciliter ces partages, Equipop a organisé un voyage d’échanges féministe, à l’occasion du festival Brisons le Silence organisé par notre partenaire Filactions. Il s’inscrit dans le projet Générations féministes : Lyon et sa métropole, territoire d’égalité. Voici le récit de six jours de rencontres et d’inspirations collectives :
Elles s’appellent Amandine Yao (Gouttes Rouges), Kadiatou Konaté (CJFLG) et Chanceline Mevowanou (JFAD). Engagées dans des associations féministes, elles sont des actrices clés des mouvements féministes ouest-africains. Leurs expériences et expertises militantes sont riches et variées. Amandine casse les clichés et tabous entourant les menstruations en Côte d’Ivoire, autant que les algorithmes du webactivisme. Kadiatou lutte depuis ses 14 ans pour les droits des filles, contre les violences sexistes et les mutilations sexuelles, des communautés guinéennes aux plus hautes instances politiques et institutionnelles. Chanceline investit différents espaces engagés pour les droits des femmes, au Bénin et au délà, et nourrit les réflexions des mouvements féministes grâce à des stratégies et des visions optimistes de sociétés plus justes. Toutes trois se connaissent et agissent ensemble dans la sous-région ouest-africaine, aux côtés de dizaines, sinon de centaines d’autres militantes qui font bouger les lignes de l’égalité de genre. Elles ont accepté de participer au voyage d’échanges féministe organisé à Lyon, en novembre 2024, par Equipop.
Décloisonner les luttes féministes
Les systèmes patriarcaux, les inégalités de genre et les violences sexistes et sexuelles ne connaissent pas de frontières. Les injustices varient selon les contextes culturels, économiques ou politiques, mais elles s’inscrivent dans des structures mondiales de pouvoir qui oppressent les femmes et les personnes LGBTQIA+. En collaborant avec d’autres mouvements, les féministes renforcent leur pouvoir d’action et leur capacité à obtenir des changements structurels. Pendant le voyage d’échanges féministes, nos trois invitées ont pu échanger avec leurs homologues lyonnais·e·s – au total, plus d’une vingtaine d’acteur·ice·s ont été rencontré·e·s – et découvrir ou participer à des initiatives transformatrices en région Auvergne-Rhône-Alpes. Lors d’un atelier d’une journée avec des acteur·rice·s de l’éducation populaire et de la solidarité internationale, les militantes féministes ouest-africaines ont échangé sur les défis sociaux, politiques et législatifs, tout en soulignant l’importance d’adapter les financements et de prévenir l’instrumentalisation des luttes féministes.
Lors d’un “café-débat” avec des associations étudiantes féministes comme le CLIT (Université de médecine de Lyon) ou Eh Mademoiselle (Sciences Po), s’est posée la question de faire mouvement tout en travaillant sur des champs très spécifiques, et de mutualiser nos efforts face aux défis systémiques à différentes échelles. C’est d’ailleurs tout l’enjeu de la suite du projet Générations Féministes : soutenir financièrement et techniquement les associations de jeunes féministes de la région lyonnaise et cultiver les discussions et liens tissés lors du voyage pour créer collectivement des savoirs et outils féministes (à suivre, donc).
« Construire intentionnellement des mouvements féministes commence par se connaître, briser les barrières et affronter les clichés. Il faut créer des liens durables et évolutifs, tout en se mobilisant ensemble pour trouver des stratégies communes. » – Kadiatou Konaté
Enrichir les réflexions sur nos postures et créer des liens
Ce voyage a permis de renforcer les solidarités féministes transnationales en abordant les oppressions croisées – de classe, de race, de genre – et en renforçant les actions féministes globales pour une égalité réelle.
Un temps d’échange au Centre d’Accueil des Demandeur·euse·s d’Asile (CADA) de Bron a permis d’entendre les perceptions et vécus des femmes qui y sont hébergées, posant la question de leur place dans la lutte pour les droits des femmes, en France comme en Afrique de l’Ouest. Une discussion sur les produits de santé menstruelle avec Tina Youan Ilupeju, présidente de l’association Adeen Tahny IY, a mis en évidence l’importance de prendre en compte les besoins réels des personnes selon les contextes dans le choix des solutions proposées. Découvrir les archives et outils du Planning Familial 69 ou de Filactions, associations historiques d’éducation populaire féministes, fut une opportunité d’enrichir méthodes et boîtes à outils. Au cœur de plusieurs discussions également : inviter davantage d’hommes à prendre leurs responsabilités dans le combat pour l’égalité de genre, tout en les amenant à questionner sincèrement leurs privilèges. Cela permettrait notamment d’éviter de recréer des logiques oppressives, notamment celles valorisant des “modèles d’engagement masculins” souvent imprégnés de dynamiques patriarcales.
Cette semaine d’échanges a également invité les féministes occidentales à lutter contre l’invisibilisation des luttes de femmes africaines pour leurs droits et des spécificités des mouvements féministes africains. Amandine, Chanceline et Kadiatou ont encouragé les acteur·ice·s et associations rencontrées à intégrer les dimensions de sororité et de solidarité internationale dans leurs actions de prévention, et à impliquer des militantes d’autres géographies dans leurs activités. L’objectif ? Faire mouvement transnationalement et favoriser, auprès des jeunes notamment, l’émergence d’une génération féministe ouverte sur le monde et consciente des enjeux de solidarité internationale.
« Ces discussions sont des fenêtres que l’on ouvre dans l’espoir que les échanges de perspectives se poursuivent – et nous allons continuer, ensemble, à changer les choses à nos échelles jusqu’à révolutionner le monde. » – Chanceline Mevowanou
S’émanciper des normes sociales sexistes : pour une éducation féministes des enfants et des adolescent·e·s
L’éducation populaire et la culture sont des outils puissants pour sensibiliser les jeunes aux violences sexistes et sexuelles. En mobilisant des formes d’expression artistique, des ateliers interactifs ou des espaces de dialogue, ces méthodes permettent aux jeunes de questionner les normes de genre et d’analyser les mécanismes de domination de manière concrète et accessible, favorisant leur émancipation. C’est l’un des leviers du Festival Brisons le Silence, organisé par l’association Filactions, qui permet de rendre visibles et dénoncer les violences faites aux femmes et personnes LGBTQIA+ et de sensibiliser chaque année plus de 5 000 personnes. Nous avons par exemple assisté, avec une soixantaine de lycéen·ne·s, à la pièce de théâtre Dos au mur. Mise en scène par Anne-Pascale Paris, cette pièce propose des tableaux sur les violences masculines. Elle vise à déconstruire les préjugés et susciter des échanges constructifs sur les violences sexistes et sexuelles. A l’issue de la représentation, Amandine Yao, Kadiatou Konate et Chanceline Mevowanou ont pu échanger quelques mots avec les jeunes spectateur·rice·s sur leurs combats, et plus généralement sur les enjeux soulevés par la pièce.
Les enjeux d’éducation populaire féministe, en particulier l’éducation à la sexualité, étaient au coeur de la conférence “Violences sexistes et sexuelles : pour une éducation féministe des enfants et adolescent·e·s !” organisée par Filactions et Equipop dans le cadre du festival et du cycle Sororités Francophones. Face à des chiffres alarmants et des violences normalisées, les trois militantes ouest-africaines, Céline Roussat (professionnelle de la prévention auprès des 6-11 ans pour Solidarité Femmes Beaujolais) et Lolita Rivé (professeure des écoles et réalisatrice du podcast documentaire « C’est quoi l’amour, maîtresse ? ») ont insisté sur l’importance d’une éducation au consentement, à l’égalité, à la connaissance de son corps dès le plus jeune âge. Tout en s’adaptant à l’âge des enfants, ces approches permettent de déconstruire les normes patriarcales, de libérer la parole et de donner aux jeunes les outils pour comprendre leurs droits et développer un esprit critique.
« L’éducation est la clé d’une société plus égalitaire. Ce n’est pas un luxe, mais une nécessité pour protéger nos enfants et déconstruire les violences. » – Amandine Yao
Se ressourcer : espoirs et joie militante
Enfin, ce voyage d’échange était aussi un moment précieux de militance et de ressourcement pour toutes. Monter sur les planches de la scène ouverte “la Miaulerie” ou écouter des textes, poèmes, raps ou chants puissants et engagés était “une experience inspirante qui nous rappelle que la créativité est une alliée dans le combat féministe et un moyen d’expression fort” (Chanceline Mevowanou). Participer au Happening des femmes en blanc de Filactions pour dénoncer les violences sexistes et marcher dans les rues de Lyon, chanter et crier des slogans féministes avec des milliers de personnes à l’occasion de la manifestation du 23 novembre était “une experience militante inoubliable” pour toutes les trois. Une inspiration à cultiver la culture du “sortir dans la rue” et la cohésion entre les organisations féministes pour l’organisation d’actions mobilisatrices de telle ampleur.
“ Voir toute cette foule, la joie militante, ça m’a fait oublier ma fatigue. Les slogans : j’ai tout noté.” – Kadiatou Konaté
Le Voyage d’échanges féministe a été organisé dans le cadre du projet Générations Féministes : Lyon et sa métropole, territoires d’égalité, soutenu financièrement par l’Agence Française de Développement et la Fondation de France.