
– L’urgence d’un fonds européen pour les organisations féministes
Le 9 avril dernier, au Parlement européen, Equipop a pris part au lancement d’un appel politique fort pour la création d’un fonds européen de soutien aux organisations féministes. Cette initiative s’inscrit dans un contexte mondial de crise de l’aide au développement et d’offensive des mouvements anti-droits. Au cœur de cette rencontre, organisée par les eurodéputées Chloé Ridel et Marit Maij, en partenariat avec ODI Europe et le consortium Walking the Talk, Equipop a mobilisé des actrices féministes francophones pour faire entendre leurs voix auprès des décideur·euse·s européen·ne·s.
“ L’égalité n’est pas juste une question de justice : c’est une politique de sécurité. Crier notre soutien aux femmes opprimées à travers le monde, en Iran ou en Afghanistan, ne suffit pas. Il faut maintenant passer de la parole aux actes. Il faut financer leur émancipation, en soutenant les organisations qui y travaillent sur le terrain” – Chloé Ridel, Députée européenne
Un contexte international alarmant
Le financement de l’aide au développement connaît une crise majeure. L’arrêt brutal des financements de l’USAID a eu des effets dévastateurs, mettant fin à de nombreux programmes de soutien à l’égalité de genre. Ces coupes budgétaires touchent disproportionnellement les femmes et les filles, en particulier dans les zones de conflit et les contextes de régression démocratique.
En Europe, des pays historiquement engagés dans l’aide au développement, tels que les Pays-Bas, la Suède, la Belgique, l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni, connaissent eux aussi des réductions de leurs budgets. Parallèlement, les priorités de l’Union Européenne se réorientent vers des enjeux commerciaux et sécuritaires, au détriment des droits humains et du développement. Par exemple, lors de la révision à mi-parcours du cadre financier pluriannuel (CFP) en 2024, l’UE a redéployé 2 milliards d’euros de son instrument de coopération internationale pour financer la gestion des migrations et des investissements au profit de ses propres intérêts.
Au même moment, les mouvements anti-droits, largement financés par des puissances comme les États-Unis, la Russie et l’UE elle-même, renforcent leurs attaques. Leur installation dans les sphères de pouvoir et leur capacité d’influence croît à une vitesse alarmante, remettant en cause des décennies de progrès en matière de droits des femmes. Entre 2019 et 2023, près d’un milliard d’euros aurait été alloué à ces acteurs réactionnaires, tandis que les organisations féministes restent structurellement sous-financées.
La nécessité de financements féministes
Face à cette offensive “internationale réactionnaire”, le soutien aux organisations féministes est plus que jamais une priorité. Les chiffres actuels sont alarmants. En 2023, moins de 1% de l’aide publique au développement consacrée au genre parvient réellement aux organisations féministes, ce qui souligne l’urgence de repenser les modalités de financement. Les appels à projets sont souvent inaccessibles, les procédures trop complexes et les financements trop rigides. Ces obstacles empêchent les organisations féministes, souvent les dernières à intervenir dans des zones dévastées par la guerre ou l’instabilité politique, d’agir avec la réactivité et la souplesse dont elles ont besoin.
L’exemple du projet Féministes en Action, le premier fonds intermédié mis en place dans le cadre du Fonds de soutien aux organisations féministes (FSOF) porté par la France, illustre l’impact concret des fonds de soutien aux organisations féministes. En quatre ans, il a permis de financer 265 projets portés par 239 organisations dans 30 pays à travers le monde. Comme le souligne Juliette Bakyono, Présidente de l’Initiative Pananetugri pour le Bien-être de la Femme (IPBF), ce type de financement leur a offert « les moyens de se structurer, de se mettre en réseau et de renforcer leur action contre les violences ou en faveur de l’insertion professionnelle ». Dans des contextes marqués par les conflits ou le retrait de l’État, ces organisations deviennent des actrices de première ligne pour garantir l’accès aux droits fondamentaux.

Vers la création d’un fonds européen
Face à cette situation, un fonds européen de soutien aux organisations, réseaux et fonds féministes représenterait une réponse forte aux menaces actuelles. Inspiré de mécanismes nationaux comme le FSOF lancé par la France en 2019, ce fonds pourrait permettre de soutenir de manière directe et durable les initiatives féministes sur le terrain. L’objectif serait de leur offrir les moyens d’agir en toute indépendance, sans les contraintes administratives et les conditionnalités excessives qui freinent actuellement leur capacité à répondre aux besoins des communautés qu’elles servent.
L’appel lancé par Equipop et ses partenaires pour un tel fonds met l’accent sur l’urgence de soutenir les mouvements féministes qui jouent un rôle essentiel dans la préservation des droits humains, notamment dans les contextes de fragilité où les États sont absents ou défaillants. En fournissant des financements accessibles, souples et pluriannuels, ce fonds européen offrirait aux organisations féministes les ressources nécessaires pour poursuivre leur travail vital de défense des droits des femmes, d’autonomisation économique et de lutte contre les violences sexistes.
L’engagement de l’Union Européenne
L’Union Européenne a, depuis des années, mis l’égalité des genres au cœur de ses priorités en matière de politique extérieure, notamment à travers des initiatives comme le Plan d’Action pour l’égalité des genres (GAP III) et le Plan d’Action Femmes, Paix et Sécurité. Cependant, les récentes réorientations politiques mettent en lumière un besoin urgent de renforcer cet engagement en créant un fonds spécifiquement dédié aux organisations féministes. C’est dans ce cadre qu’Equipop a contribué à la consultation publique de la Commission européenne sur le prochain budget de l’UE, en défendant des financements renforcés, accessibles et durables pour les organisations féministes, ainsi que la création d’un fonds européen dédié.
Dans les négociations en cours sur le prochain budget européen, la France, qui a déjà une expérience significative avec le FSOF, est appelée à jouer un rôle clé. En cohérence avec sa stratégie de diplomatie féministe pour la période 2025-2030, la France doit défendre l’idée de ce fonds européen, afin d’assurer un soutien pérenne et accessible aux organisations féministes dans le monde entier.
L’Alliance féministe francophone (AFF), créée début 2025, rejoint cette dynamique. Face à la montée des extrêmes droites et des discours anti-droits en Europe, l’AFF a pour mission de défendre les droits acquis, de renouveler les récits autour des droits des femmes et des personnes LGBTIQIA+ et de sécuriser le financement des organisations féministes. Elle s’engage à porter des recommandations concrètes et à soutenir la mise à l’échelle des dispositifs de financement féministe ayant déjà fait leurs preuves.
Un appel à l’action
Le message est clair : soutenir les organisations féministes, c’est soutenir la démocratie et les droits fondamentaux. Ces organisations, souvent en première ligne dans des contextes de crise, sont des actrices essentielles pour garantir l’accès à la santé sexuelle et reproductive, lutter contre les violences sexistes et sexuelles, et accompagner l’autonomisation économique des femmes. Cependant, elles ont besoin de financements directs, durables et accessibles pour mener à bien leur mission.
Comme l’a souligné Bénédicta Aloakinnou, avocate et militante féministe engagée du Bénin, “ces organisations n’ont pas besoin de sauveurs, elles ont besoin de confiance, de moyens directs, accessibles et durables”. Il est temps que l’Europe mise sur ces actrices de l’émancipation féminine. Dans les négociations sur le prochain budget de l’UE, la France doit se positionner comme un moteur pour la création d’un fonds européen qui permettrait à ces organisations de continuer à se battre pour les droits des femmes et l’égalité des genres à travers le monde.

En somme, la création d’un fonds européen pour les organisations féministes n’est pas seulement une question de financement, mais un impératif politique pour préserver et renforcer les acquis en matière de droits humains et d’égalité de genre. Face à une offensive mondiale des forces anti-droits, l’Europe ne peut pas se permettre de rester passive. Il est urgent d’agir.