– Sororités Francophones #8 – Médias et Féminismes
Lors de la 8ᵉ rencontre Sororités francophones, trois professionnelles des médias et du féminisme se sont retrouvées autour du thème « Médias et Féminismes : créer, transformer, rêver nos espaces ». Christelle Murhula, journaliste indépendante et autrice, Sadia Mandjo, fondatrice de Tour d’Afrique des droits des femmes, et Kharoll-Ann Souffrant, chercheuse en travail social, ont partagé leurs expériences. Cette rencontre a permis d’explorer comment les médias pouvaient être des outils puissants pour porter les luttes féministes, tout en promouvant l’égalité, la justice sociale et l’inclusion.
En croisant leurs réflexions, les intervenantes ont mis en avant trois axes clés : le pouvoir transformateur des médias, l’importance de multiplier les stratégies, et les défis de l’engagement féministe dans un milieu largement dominé par des rapports de pouvoir patriarcaux.
Le pouvoir transformateur des médias
Les médias jouent un rôle central dans l’évolution des mentalités, mais ils restent, pour nombre de journalistes et féministes, un espace où des rapports de pouvoir sexistes et racistes continuent de se manifester.
Christelle Murhula a souligné combien les médias pouvaient influencer des débats majeurs, comme ce fut le cas avec le mouvement #MeToo, en amplifiant les voix des victimes et en poussant les autorités à réagir. Pourtant, elle constate que les médias traditionnels souffrent souvent d’un manque de diversité dans leurs perspectives, ce qui limite la portée des récits féministes. « Les médias peuvent lancer des débats de société essentiels, mais restent limités lorsqu’il s’agit de sujets plus complexes ou de voix minoritaires », explique-t-elle, regrettant une couverture qui néglige parfois les réalités des femmes marginalisées.
Sadia Mandjo a souligné l’impact des médias dans la vulgarisation des luttes pour les droits des femmes. Fondatrice du média engagé Tour d’Afrique des droits des femmes, elle a rappelé que si les journalistes pouvaient amplifier la portée des messages féministes, ils et elles se heurtaient parfois à des lignes éditoriales qui minimisent ces enjeux. C’est ce constat qui l’a poussée à créer son propre média afin de garantir une couverture constante dédiée aux droits des femmes africaines. Elle insiste sur le fait que ce type de média est vital pour couvrir des sujets souvent perçus comme « secondaires » par les rédactions traditionnelles.
Kharoll-Ann Souffrant, autrice et chercheuse en travail social, a souligné la responsabilité des médias dans la transmission de récits nuancés et inclusifs. Selon elle, « la perspective féministe permet de faire entendre les réalités de communautés marginalisées, invisibilisées par les récits médiatiques dominants ». Les médias ne doivent pas seulement informer, mais aussi se montrer proactifs dans la transformation des mentalités en incluant des points de vue féministes et intersectionnels.
Investir les médias mainstream et multiplier les stratégies
Sur la question d’intégrer les médias grand public ou de créer des espaces autonomes, les trois intervenantes partagent des points de vue complémentaires. Kharoll-Ann Souffrant estime qu’il est essentiel de multiplier les approches : « nous avons besoin de médias féministes dédiés, mais aussi d’infiltrer les grands médias pour toucher un public plus large et apporter un regard féministe sur des sujets non traités. » Pour elle, l’objectif est de bâtir un discours transformateur qui s’adapte aux différents canaux médiatiques pour atteindre autant les convaincu·e·s que celles et ceux qui ne se sentent pas directement concerné·e·s par ces enjeux.
Christelle Murhula, en tant que journaliste indépendante, voit dans cette stratégie une manière de contourner les limites de chaque média. Elle se réjouit de pouvoir collaborer avec des médias féministes mais également d’apporter un prisme féministe aux publications généralistes pour lesquelles elle écrit. Elle insiste néanmoins sur la précarité des journalistes indépendantes, qui sont souvent vulnérables aux pressions éditoriales et financières. « Pour éviter l’autocensure et pouvoir proposer des sujets féministes, il est essentiel de diversifier ses collaborations, mais cela demande de la résilience et des sacrifices », note-t-elle.
De son côté, Sadia Mandjo conclut cette réflexion en évoquant la nécessité d’adapter le discours aux auditoires variés pour éviter de créer des barrières. Dans son projet, elle utilise les réseaux sociaux pour diffuser des informations vulgarisées, visant les jeunes femmes africaines. « J’essaie de rendre accessibles des informations complexes, vérifiées et contextualisées pour que la jeunesse ait conscience de ses droits, » explique-t-elle. Cette approche est primordiale dans un contexte où les sujets féministes peuvent être incompris ou perçus comme un luxe de société occidentale.
Défis et résilience : l’engagement au quotidien
Les trois intervenantes évoquent également les nombreux défis auxquels elles sont confrontées dans leur quotidien professionnel. La précarité, l’autocensure et la quête de légitimité sont autant de défis pour celles qui souhaitent faire entendre les voix féministes. Sadia Mandjo regrette, par exemple, le manque d’intérêt des rédactions pour les droits des femmes africaines, l’obligeant parfois à documenter seule et à auto-financer son projet.
Kharoll-Ann Souffrant, de son côté, rappelle que l’engagement féministe dans les médias ne doit pas être une étiquette, mais une éthique : « en tant que journaliste, je défends une méthodologie qui me permet d’offrir des récits en profondeur, qui ne se contentent pas de survoler des sujets. »
En dépit de ces défis, toutes trois affirment que les médias féministes représentent un levier indispensable vers une société plus inclusive. Que ce soit par l’adoption d’angles inédits, la création d’espaces autonomes ou l’investissement des médias dominants, ces femmes bâtissent une nouvelle manière de raconter les histoires. L’objectif commun est clair : construire une société plus inclusive et permettre aux femmes, jeunes et activistes de participer aux débats publics sur les droits humains et la justice sociale.
Transformer le journalisme : des espaces et narrations alternatives
Christelle Murhula insiste sur la nécessité d’offrir des garanties économiques aux journalistes pour leur permettre de travailler sans avoir à modérer leurs propos par crainte de perdre leur collaboration. Le manque de sécurité économique reste un frein pour l’essor de ces voix indépendantes, qui restent souvent contraintes d’adapter leurs sujets aux lignes éditoriales des médias pour préserver leurs collaborations.
Sadia Mandjo met l’accent sur le rôle de la jeunesse africaine comme public cible. Elle souhaite sensibiliser cette génération à l’importance des droits des femmes, grâce à un média accessible et ancré dans leurs réalités. Son projet, Tour d’Afrique des droits des femmes, offre des ressources locales et des contenus adaptés aux contextes spécifiques de chaque pays. Sadia Mandjo voit les réseaux sociaux comme un outil de diffusion idéal, permettant d’éduquer et de sensibiliser rapidement, au plus près des jeunes, qui sont les actrices et acteurs de demain.
Déconstruire et repenser les médias de demain
Les médias peuvent être des leviers de transformation sociale, mais nécessitent une approche volontairement inclusive et critique. L’avenir des médias passera par une diversification des voix, la création d’espaces autonomes et des pratiques journalistiques qui respectent et valorisent les récits de toutes les femmes, au-delà des frontières et des cultures.
Construire un média féministe, c’est aussi oser redéfinir les règles du jeu en assumant un regard engagé. « Les médias féministes ne sont pas des outils de niche, ce sont des plateformes pour repenser les normes sociales, transformer les perceptions et amplifier la voix des femmes dans toute leur diversité », affirme Kharoll-Ann Souffrant.
Toutes s’accordent sur la nécessité de développer une vision féministe et intersectionnelle dans les médias pour repenser les récits dominants et leur apporter une richesse et une diversité de voix.
L’objectif commun est clair : faire des médias non seulement des outils d’information, mais des moteurs de changement social, en intégrant pleinement la pluralité des voix féminines et féministes, au-delà des frontières et des cultures.
Cette rencontre a mis en avant une vision commune : celle de médias féministes qui ne se contentent pas de refléter la réalité, mais qui cherchent à la transformer.