– Retour sur la CSW68 : pour de nouvelles victoires pour l’égalité de genre, les Etats membres de l’ONU doivent financer les mouvements féministes
Equipop a participé à la 68ème session de la Commission sur le statut des femmes à l’ONU, qui s’est tenue du 11 au 22 mars, sur le thème “accélérer la réalisation de l’égalité de genre et l’autonomisation de toutes les femmes et les filles en s’attaquant à la pauvreté et en renforçant les institutions et le financement dans une perspective de genre”. Le texte adopté à l’issue de ces deux semaines est le résultat de négociations où les Etats les plus conservateurs ont attaqué les droits des femmes et l’égalité de genre.
La communauté internationale fait actuellement face à des guerres faites par les hommes et qui affectent en première ligne les femmes, des “guerres contre les droits des femmes” : c’est avec ces mots graves qu’Antonio Guterres a ouvert la 68ème session de la Commission sur le Statut des Femmes (CSW). Le Secrétaire général des Nations unies a renouvelé son appel pour un cessez-le-feu immédiat à Gaza, ainsi que pour la libération des otages et l’accès à l’aide humanitaire. Il a également dénoncé les violences sexuelles commises contre les femmes et les filles en temps de conflits, s’appuyant sur le rapport de la Rapporteuse spéciale de l’ONU sur les violences contre les femmes et les filles, qui fait état de violences sexuelles commises par le Hamas ainsi que de témoignages de violences contre des femmes palestiniennes dans les territoires occupés. D’autres cas, comme ceux du Soudan ou de la République démocratique du Congo, qui sont aussi le théâtre de violences sexuelles, ont été mis en lumière et dénoncés lors de diverses prises de parole pendant cette CSW.
La CSW68 s’est conclue par l’adoption de “conclusions agréées” dans lesquelles les Etats de l’ONU ont renouvelé un certain nombre d’engagements pour l’égalité de genre. Les négociations ont été rendues difficiles par la présence d’acteurs anti-droits et dans un contexte de crise de financements de l’ONU, qui ont grandement limité l’espace de discussion et poussé les Etats à précipiter certains compromis, affaiblissant ainsi la portée et le contenu du texte. Quelques victoires pour l’égalité de genre et la protection des droits et de la santé sexuels et reproductifs (DSSR) ont néanmoins pu être obtenues.
La CSW est un espace où les droits des femmes sont régulièrement instrumentalisés pour rejouer des rapports de force entre Etats, sur fond de conflits, de concurrence diplomatique, ou de désaccords géopolitiques. En plus de jouer leur rôle d’appui technique dans les négociations, il était important qu’Equipop et ses allié·e·s féministes y participent, afin d’occuper le terrain multilatéral face aux mouvements anti-droits.
Atteindre l’égalité de genre grâce aux solidarité féministes
Cette année, la CSW avait une portée particulière pour la délégation française qui s’y est rendue : elle a été l’occasion de célébrer la récente constitutionnalisation de l’IVG, fruit de la forte mobilisation des associations féministes françaises. Celle-ci a eu un fort écho en Europe et à l’international. En Pologne, suite aux récentes élections écartant l’extrême-droite du pouvoir, les féministes voient la possibilité de porter cette même revendication. Malgré les attaques contre les DSSR en Amérique latine, les activistes de la région ont confié que cette victoire constituait un certain espoir, preuve que l’activisme féministe fonctionne.
Cette constitutionnalisation a été rendue possible grâce à une étroite collaboration avec les parlementaires français·e·s, qui ont été représenté·e·s par une délégation particulièrement large cette année. Menée par le vice-président de la Délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale, Guillaume Gouffier-Valente, cette délégation transpartisane a rappelé la place importante que doit occuper l’égalité de genre dans les politiques françaises. Equipop a collaboré avec elles·eux en amont pour préparer stratégiquement la CSW. Sur place à New York, Equipop a également facilité une rencontre avec plusieurs partenaires d’Afrique de l’Ouest francophone pour sensibiliser les parlementaires aux problématiques des DSSR dans la région. Cette collaboration devra se poursuivre en France pour finaliser la stratégie “diplomatie féministe” et veiller à sa mise en oeuvre.
Financer les mouvements féministes face au backlash
Le thème de cette CSW portait sur la source du combat pour l’égalité de genre : le financement des mouvements féministes. Un mot d’ordre s’est imposé dans toutes les discussions des activistes : la confiance. Elles ont appelé les Etats et les bailleurs privés à renforcer leurs financements mais aussi de les rendre plus flexibles pour en faciliter l’accès aux organisations les plus petites. Le réseau féministe AWID l’a rappelé lors d’un événement parallèle : les financements des mouvements anti-droits continuent de croître alors que ceux des associations féministes restent très faibles. Le Black Feminist Fund a constaté que plus de 60 % des groupes féministes noirs n’ont jamais reçu de financement structurel. En parallèle, depuis 2019, la présence d’organisations d’extrême-droite sur le continent africain a considérablement augmenté. AWID a expliqué que les anti-droits investissent également massivement dans les médias sur le continent.
Equipop est également intervenue lors d’un évènement organisé par le fonds féministe AWDF, dédié au financement des mouvements féministes d’Afrique francophone. Lucie Daniel, responsable de plaidoyer et d’études d’Equipop, y a présenté les conclusions du rapport co-écrit en 2023 avec la fondation Jean-Jaurès ; “Droits des femmes : combattre le backlash”. Avec le réseau ISDAO, Equipop a rappelé l’importance de créer des liens entre les réseaux féministes et LGBT.
Cette mission à New York a également été l’occasion pour Equipop d’échanger avec ses partenaires autour du projet “Walking the Talk”, mené par quatre organisations européennes (Equipop en France, Hivos aux Pays-Bas, Center for Feminist Foreign Policy en Allemagne et Restless Development en Grande-Bretagne) et dont l’objectif consiste à renforcer le cadre et la redevabilité des politiques étrangères féministes en Europe, notamment en ce qui concerne les financements dédiés aux associations féministes des pays des Suds.
Occuper le terrain et renforcer les conventions internationales sur les enjeux liés aux DSSR et aux financements
Les mouvements anti-droits étaient également présents et très audibles à la CSW, que ce soit dans les événements parallèles ou au cours des négociations. Cette année, ils sont allés jusqu’à organiser une contre-conférence “sur la femme et la famille”, dévoyant encore davantage la sémantique et le corpus de droits liés aux droits des familles.
Les Etats les plus conservateurs ont essayé de réduire la portée des conclusions agréées en s’attaquant aux éléments de langage autour du genre présents dans le texte, allant jusqu’à remettre en cause le langage agréé depuis des années comme les termes “violences sexuelles et basées sur le genre”. Les enjeux de protection des droits LGBTQIA+, droits humains fondamentaux, ne sont pas abordés dans le texte final. L’éducation complète à la sexualité, bien que mentionnée comme importante, est soumise dans son contenu aux “contextes culturels” et à la “supervision des parents”.
Les voix les plus progressistes ont néanmoins permis quelques mentions de la nécessité de protéger les DSSR. Le texte reconnaît la nécessité d’intégrer une perspective de genre dans les engagements pris par les Etats pour financer le développement. Il appelle notamment à assurer “l’accès universel” aux DSSR, en augmentant les investissements dans les services de santé, y compris digitaux, et en reconnaissant aux femmes le droit humain d’avoir le contrôle et de décider librement et de manière responsable de toutes les questions liées à leur sexualité, y compris la santé sexuelle et reproductive.
Le texte final appelle également les gouvernements et les bailleurs privés à accroître leur soutien aux organisations de la société civile, sous la forme de financements durables, flexibles et pluriannuels. Des éléments de langage importants pour la suite du plaidoyer d’Equipop et de ses partenaires.
Enfin, la Commission sur le statut des femmes a adopté une résolution sur le VIH/sida en parallèle des négociations des conclusions agréées, qui permet de rappeler l’importance de lier lutte contre le VIH/sida et lutte contre les inégalités de genre ; et qui enjoint les Etats à agir conjointement sur ces deux volets, conformément aux engagements pris par la communauté internationale.
Mobiliser les Etats progressistes pour des avancées significatives en matière d’égalité de genre
Pour faire face aux voix conservatrices qui attaquent les droits des femmes et des personnes LGBTQIA+, Equipop a rédigé une lettre ouverte appelant les Etats progressistes à faire alliance et à se mobiliser au cours des négociations pour aboutir à des conclusions agréées qui protègent au maximum ces droits. L’association a également appuyé la France en amont de la CSW et tout au long des négociations, grâce au partage d’analyses et d’amendements des conclusions agréées consolidés avec le consortium Countdown 2030 Europe, et au cours d’échanges stratégiques avec la représentation permanente de la France aux Nations unies. Il est essentiel de poursuivre ce dialogue qui s’inscrit dans le cadre de la politique étrangère féministe que la France entend porter, et à l’approche des prochaines échéances internationales comme la CPD et le Sommet pour le Futur.
Les prises de parole de la France au cours de cette CSW ont été marquées par la promotion de cette politique étrangère féministe qui se veut protectrice des DSSR sur la scène internationale. Pour être audible, la France doit être cohérente, en veillant aussi à l’effectivité des DSSR sur son territoire : elle doit assurer l’accès effectif à tous les soins de santé sexuelle et reproductive, notamment à l’IVG qui est désormais inscrite dans la constitution, et sécuriser les financements des associations féministes, enjeu qui était au cœur du thème de la CSW.
Dans les semaines à venir, Equipop restera mobilisée et continuera d’interpeller le gouvernement, alors que d’importantes coupes budgétaires ont été annoncées par le ministre Bruno Le Maire, qui menacent d’affecter les financements des politiques publiques d’égalité de genre et des mouvements féministes sur le territoire français et à l’international. Nous appelons le gouvernement et les parlementaires français·e·s à tout mettre en place pour les sauvegarder.