Depuis plus de vingt ans, l’agenda Femmes, Paix et Sécurité, incarné notamment par la résolution 1325, façonne les discours internationaux autour de la paix et de la sécurité. Pourtant, derrière ces grandes déclarations, la réalité vécue sur le terrain révèle souvent un décalage. Comment penser la paix si on ne l’envisage pas à travers un prisme féministe, ancré dans les réalités spécifiques des femmes et jeunes femmes africaines ?
De quels conflits parle-t-on ? De quelles actrices partons-nous ?
En Afrique de l’Ouest et au Sahel, les femmes et les jeunes filles font face à une diversité de crises s’imbriquant les unes aux autres : conflits armés, violences intercommunautaires et/ou interethniques, terrorismes, coups d’État, déplacements forcés, militarisation des sociétés. Des pays comme le Burkina Faso, le Niger, le Tchad ou encore le Mali sont parmi les plus illustrateurs de par ces dynamiques. À cela s’ajoutent des formes de violences structurelles plus silencieuses, mais tout aussi puissantes et exacerbées par les crises : inégalités de genre, pauvreté, répression des libertés civiles, patriarcat institutionnalisé.
Dans ce contexte, l’agenda « Femmes, Paix et Sécurité » (FPS), porté par la résolution 1325, a permis des avancées notables, mais discutables. À ce jour, au moins 12 pays de la région ont adopté des Plans d’action nationaux (PAN) pour sa mise en œuvre, certains étant même à leur troisième génération (par exemple, la Côte d’Ivoire et le Niger sont à leur deuxième génération, le Mali a son troisième). On observe également des signes d’ouverture voire d’accélération dans la promotion du leadership féminin : avec l’institutionnalisation croissante de l’agenda y compris au niveau supra-national (avec la création du Plan d’action régional de la CEDEAO sur les Femmes, la Paix et la Sécurité, ou encore la création de la Section Femmes, Paix et Sécurité d’UNOWAS qui assure le suivi et la mise en œuvre des résolutions 1325 et 2250) et l’engagement persévérant de la société civile (création du réseau FemWise-Africa, le Réseau Africain des Femmes Leaders (AWLN) ou encore le Réseau Ouest-Africain pour l’Édification de la Paix (WANEP)).
Mais ces dynamiques enthousiasmantes sont freinées voire diluées aussi bien au niveau des États que des partenaires au développement par la faiblesse chronique des financements dédiés, le manque de coordination et de suivi-capitalisation des interventions, et surtout, la persistance des stéréotypes de genre et le poids des normes patriarcales ainsi que socio-culturelles. La conjonction de tous ces éléments affaiblit la portée des PAN, rendant leur exécution purement symbolique ; dans des contextes de crises multiformes galopantes, en particulier au Sahel, les femmes et les filles sont exposées à des situations vulnérables aggravées, rendant ainsi leur participation significative dans les espaces décisionnels et les processus de paix plus difficile.
C’est dans cet écosystème que s’inscrit l’action d’Equipop, en tant que fonds intermédié et organisation féministe. Ainsi, à travers le projet “Pour des agendas féminISTEs, paix et sécurité financé par le Fonds de soutien aux organisations féministes (FSOF) de l’Agence Française de développement, nous intervenons dans plusieurs pays de la région : Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Tchad, et Togo. Notre objectif : soutenir les initiatives et amplifier les voix des femmes et jeunes femmes marginalisées notamment rurales, déplacées, en situation de handicap, migrantes, ou vivant dans des zones à forts défis sécuritaires. Plutôt que de se contenter d’insérer quelques femmes dans les mécanismes existants, notre approche consiste à aller au-delà des logiques traditionnelles et non transformatrices. Nous accompagnons des partenaires de terrain afin qu’elles conçoivent, pilotent et évaluent y compris à travers des alliances leurs propres actions en matière de paix, de sécurité, de justice sociale et de transformation des normes.
L’agentivité des acteurs et actrices concerné·e·s ne se veut pas comme un concept dans ce cas mais une pratique. Les organisations que nous soutenons traduisent, réinventent et se réapproprient la résolution 1325 à partir de leurs propres expériences tout en valorisant leurs savoirs endogènes.
Changer les manières de faire : une mise en œuvre féministe et communautaire de la résolution 1325
Depuis plus de vingt ans, la résolution 1325 est évoquée et invoquée dans les politiques internationales, régionales et nationales. Mais sa mise en œuvre reste trop souvent technique, descendante, élitiste, et cela bien loin des réalités vécues sur le terrain. Elle donne parfois lieu à des processus institutionnels déconnectés, où les femmes sont conviées en dernière minute, à titre consultatif ou symbolique, sans réel pouvoir de décision. Notre posture est résolument féministe, communautaire et décoloniale. Nous refusons les approches extractives, les diagnostics produits sans les actrices concernées, les programmes conçus à distance dans des logiques de conformité.
À l’inverse, notre approche valorise les savoirs situés. Plutôt que de parler à la place de, nous choisissons de redistribuer les ressources et les espaces à celles qui transforment les normes au quotidien. Des partenaires comme l’association Barika au Bénin, Salama Peace au Tchad, le Comité des jeunes Filles Leaders au Niger, le Réseau des Médiatrices de Paix en Côte d’Ivoire, l’Association pour la Promotion Féminine de Gaoua au Burkina Faso, ou encore le Réseau des Femmes pour le Développement au Togo élaborent leurs propres lectures des conflits, de la sécurité, de la violence, de la paix, à partir de leurs contextes, de leurs vécus, de leurs combats. Comme le rappelle Amina Mama, l’une des voix majeures du féminisme africain, “la plus grande menace pour les femmes (et par extension pour l’humanité) est la croissance et l’acceptation d’une culture militariste misogyne, autoritaire et violente”. La paix ne serait pas l’absence de guerre, mais la présence de justice, une justice qui ne peut exister si les récits, savoirs et pratiques des femmes africaines restent périphériques dans la définition même de ce qu’est la sécurité.
Vers une paix féministe, collective et transformatrice
Les violences contre les femmes et les filles ne commencent pas avec la guerre et ne s’arrêtent pas avec la paix. Elles s’ancrent dans un système patriarcal qui traverse toutes les périodes et qui maintient des inégalités de genre profondes. Plusieurs analyses féministes ont mis en évidence les limites des approches actuelles des agendas Paix et Sécurité. Elles soulignent que les cadres dominants restent marqués par des logiques militarisées et patriarcales, qui reproduisent des rapports de pouvoir au lieu de les transformer. Tant que ces logiques ne sont pas remises en cause, il ne peut y avoir de paix véritablement juste et durable.
Nous cherchons aussi à créer des ponts entre les agendas Femmes, Paix et Sécurité (FPS) et Jeunesse, Paix et Sécurité (JPS). Ces deux cadres, bien qu’issus de résolutions onusiennes complémentaires, fonctionnent encore en silos. Les jeunes femmes, en particulier celles des zones rurales ou en situation de précarité, sont marginalisées à la fois dans les espaces liés au genre et dans ceux liés à la jeunesse. En travaillant à ce nexus FPS/JPS, nous contribuons à ouvrir des espaces où leurs voix, leurs priorités, leurs formes d’organisation prennent pleinement leur place. Ce croisement permet aussi d’aborder de manière plus fine les réalités intersectionnelles. Kimberlé Crenshaw, qui a conceptualisé l’intersectionnalité, nous alerte depuis longtemps sur les conséquences d’approches politiques qui cloisonnent les identités, en particulier et surtout celles des femmes noires, et rendent certaines vies invisibles dans les politiques publiques.
Ce croisement FPS/JPS permet de penser autrement : à partir des réalités vécues par les jeunes femmes dans les camps de déplacé·es, dans les zones sous contrôle militaire, dans les quartiers périphériques, ou dans des contextes de criminalisation des mouvements sociaux. C’est là que naît une vision renouvelée de la paix : féministe, collective, transformatrice, qui ne cherche pas à “inclure” les femmes dans un ordre existant, mais à conclure une entente pour un ordre social qui soit équitable à tous les niveaux.
Perspectives pour une paix féministe et transformatrice
La paix ne se limite pas à la fin des conflits armés ; elle doit être un processus profondément ancré dans les réalités des femmes et des communautés concernées. Pour cela, la résolution 1325 et l’agenda FPS dans son ensemble doivent être réappropriés localement, en valorisant les savoirs et stratégies des femmes sur le terrain dans de véritables approches décoloniales.
Cela implique indubitablement un soutien financier adapté : les financements doivent être flexibles, accessibles et de long terme pour permettre aux organisations féministes d’agir efficacement, surtout dans des contextes marqués par la crise et l’instabilité.
Par ailleurs, l’articulation entre les agendas Femmes, Paix et Sécurité et Jeunesse, Paix et Sécurité est indispensable pour inclure les vécus souvent marginalisés des jeunes femmes, et ainsi enrichir la compréhension même de la paix.
En fin de compte ce que nous portons, c’est une vision claire : une paix féministe, qui ne se contente pas d’un statu quo, mais qui transforme réellement et durablement les rapports de pouvoir. Une paix construite par les femmes y compris jeunes, avec les communautés, et pour la justice sociale.
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19 septembre 2025
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