– “Muscler sa sororité en réseau” – Sororités francophones #2
Le 26 janvier a marqué le début du cycle de conférences Sororités Francophones pour cette année 2022. Des militantes de dix pays se sont réunies afin de créer un lieu virtuel d’échange, d’écoute bienveillante et de discussion. Elles ont échangé durant deux heures sur le thème de cette édition : “Muscler sa sororité en réseau” !
Le cycle de conférences Sororités Francophones s’inspire d’une première édition qui a eu lieu le 23 juin 2021 lors du Tour du Monde Féministe, en amont du Forum Génération Égalité (FGE). L’initiative prise par Equipop et le Réseau des Jeunes Féministes d’Afrique de l’Ouest résulte d’une volonté de créer un espace consacré à la réflexion autour des féminismes et de la sororité. Les rencontres permettent d’aborder de multiples thèmes en confrontant des expériences et des vécus différents. L’objectif est d’enrichir les connaissances sur les féminismes pluridisciplinaires et intergénérationnels. L’idée est de créer un réseau d’entraide et de mettre en commun les réflexions des différentes participantes.
Les réseaux au service de la sororité
La rencontre du 26 janvier, intitulée “Muscler sa sororité en réseau”, s’articulait autour de trois préoccupations clés :
– Le collectif peut-il augmenter la portée de nos mobilisations individuelles ?
– Comment confronter nos intuitions pour avancer vers des évolutions véritablement transformatrices ?
– Comment trouver collectivement des solutions contre les violences faites aux femmes, notamment dans le milieu du militantisme féministe ?
Les activistes féministes Chanceline Mevowanou, du Bénin, Lina Abou-Habib du Liban et Louise Delavier, de France, sont intervenues pour partager leurs travaux et leurs réflexions. Elles ont évoqué la sororité, la mise en place d’actions collectives entre femmes et la résolution de conflits et les enjeux liés aux divergences entre militantes.
Chanceline Mevowanou est une activiste féministe spécialisée dans le renforcement des droits, rôles et responsabilités des filles dans les communautés, et la création d’espaces où elles peuvent apprendre à déconstruire les normes de genre qu’elles ont intériorisées.
Lina Abou-Habib est experte de l’intégration du genre dans les politiques et pratiques de développement pour le Fonds Féministe Doria. Elle joue un rôle important dans l’entraide féministe en Libye.
Enfin, Louise Delavier, est responsable des programmes et de la communication pour En avant toute(s), association qui œuvre pour l’égalité des genres et la fin des violences sexistes et sexuelles. Ces trois militantes issues de pays, de cultures et avec des expériences diverses ont échangé pour esquisser les contours de la notion de sororité et d’action collective féministe.
Construire la sororité
Le concept de sororité est une notion utilisée par les militantes féministes, qui prend plusieurs dimensions, de l’outil de résistance collective, en passant par le partage et la création d’espaces d’échanges.
La sororité se retrouve dans les réflexions collectives, où les femmes travaillent en réseau et se renforcent les unes avec les autres. C’est un moyen de résister face aux oppressions en se soutenant collectivement. Pour incarner le concept, Lina Abou-Habib a évoqué des situations très concrètes : “une femme qui a été tuée à Bagdad pour son travail politique, ça me concerne moi aussi au Liban. Les agressions sexuelles contre les femmes en Syrie me concernent aussi car c’est utilisé dans mes régimes [politiques]. On ne peut pas travailler individuellement quand nos agresseurs travaillent collectivement.”
D’après Chanceline Mevowanou, “la sororité est aussi une responsabilité collective où nous pouvons construire des espaces où la survie de l’une dépend de la survie de l’autre”. Elle explique que les femmes qui ont des privilèges doivent utiliser leur plateforme de communication, leurs réseaux, pour mettre en lumière l’oppression que d’autres femmes subissent, mais également leurs travaux, leurs initiatives ou encore leurs arts. En effet, travailler sur la sororité demande de prendre en compte et de travailler de manière intersectionnelle sur les rapports de force au sein du même collectif, ici, le groupe social “femmes”. “La sororité ne signifie pas que nous sommes d’accord sur tout et que nous avons toutes le même point de vue. Mais nous savons ce qui nous unit”, comme l’a expliqué Chanceline.
Pour travailler collectivement et renforcer la solidarité entre militantes, celles-ci ont besoin d’espaces sûrs pour pouvoir échanger, mettre en discussions leurs expériences croisées et apprendre les unes des autres. Selon Chanceline Mevowanou, l’implication des nouvelles générations qui se sentent de plus en plus concernées et investissent de nouveaux moyens et de nouveaux outils, notamment grâce aux réseaux sociaux, a permis l’émergence d’espaces en ligne et de nouvelles façons de procéder qui donnent un nouveau souffle à cette notion de sororité.
L’action collective : un outil nécessaire contre le patriarcat
Devenir solidaire et agir collectivement, ce n’est pas seulement se connecter à des espaces en ligne et physiques avec d’autres militantes. Il y a également un enjeu pour les féministes à capitaliser les expériences féministes, encourager la sororité y compris chez les plus jeunes, et enfin mobiliser des fonds pour le travail en synergie et l’entraide entre militantes.
Les réseaux et l’action collective ont une place cruciale dans la lutte féministe et pour le bien-être des militantes. Il faut utiliser ces outils de mobilisation collective pour “construire des laboratoires d’actions”, a ainsi déclaré Chanceline Mevowanou. Utiliser les réseaux pour capitaliser et apprendre des expériences des féministes dans d’autres espaces géographiques permettra également à la sororité de ne pas simplement être “un apprentissage qu’il faudrait répéter mais plutôt qu’elle s’inscrive dans une continuité”.
Selon Louise Delavier, les femmes et les filles sont mises en concurrence dès le plus jeune âge par la société, y compris dans les collèges et les lycées. Pour encourager la sororité, l’association française En Avant Toutes propose aux jeunes femmes de trouver des moyens pour faire face ensemble aux inégalités présentes dès le collège. ”C’est parfois la première fois qu’elles entendent qu’elles sont autorisées à s’entraider et à faire preuve de solidarité”, a confié Louise Delavier à propos des interventions faites auprès des jeunes. Muscler sa sororité, c’est aussi réussir à comprendre qu’en agissant, on peut rendre la sororité émergente.
En expliquant la mission du Fonds féministe Doria, un fond de soutien aux réseaux d’entraide féministe dans la région MENA, Lina Abou-Habib met enfin en lumière l’importance des soutiens financiers, pour soutenir les actions des militantes féministes, et notamment appuyer leur mobilisation collective. Les actions collectives ne peuvent avoir une portée importante et durable si elles ne sont pas soutenues financièrement. L’existence de mécanismes de financements qui prennent en compte la spécificité des pratiques et des enjeux des militantes féministes, et qui leur permet de réaliser des actions collectives réfléchies par elles-mêmes, par rapport à leur vécu et à leurs oppresseurs, doit être une priorité.