Face au backlash, la nécessité d’une action collective des médias et des associations féministes

Face au backlash, la nécessité d’une action collective des médias et des associations féministes

Le 25 février 2025 s’est tenu l’événement « Femmes & Médias, les rencontres de l’Egalité » co-organisé par Equipop, Prenons la Une ! et La Fronde, en partenariat avec le Conseil économique, social et environnemental (CESE). Une journée rythmée par de riches réflexions sur les défis et le rôle des médias face à la montée des conservatismes et du backlash anti-genre.

Ces dernières années, une offensive conservatrice de grande envergure se déploie à l’échelle mondiale et cible particulièrement les femmes et les personnes LGBTQIA+. Dans ce contexte de “backlash”, c’est-à-dire de retour de bâton, le rôle des médias est primordial dans le fonctionnement démocratique car ils participent aux prises de conscience. Ce travail d’information ne peut pas se faire sans les associations féministes, expertes sur les droits humains. 

 

La matinée, organisée par Equipop, Prenons la Une ! et La Fronde avait pour objectif principal : “Comprendre et s’outiller en tant que journaliste dans un contexte de backlash”. Une soixantaine de journalistes, étudiant·e·s, rédactions, expert·e·s et membres d’associations féministes de France et d’Europe se sont réuni·e·s pour échanger des pistes d’actions et de résistance collectives.

 

L’après-midi, la délégation des Droits des femmes du CESE a animé une émission radio où les intervenant·e·s ont continué à explorer les liens entre droits des femmes, médias et démocratie. Au cours de la journée plus de 200 personnes ont participé, preuve d’une volonté commune de réfléchir à ces sujets. La conclusion de cette journée :  la nécessité d’une mobilisation alliant médias et associations féministes.

Droits des femmes et liberté de la presse : des enjeux liés 

Les adversaires des droits des femmes finissent toujours par s’en prendre à la liberté de la presse et au pluralisme des médias. Leur stratégie consiste à attaquer d’abord les droits des femmes, ce qui passe souvent inaperçu – car ces enjeux sont peu considérés par nos sociétés – et puis ce sont tous les piliers de la démocratie qui sont attaqués, dont le droit à l’information. Les droits des femmes sont un bon thermomètre de nos démocraties. Aujourd’hui, il vire au rouge. 

 

La situation actuelle aux Etats-Unis en est une démonstration frappante. A la croisade des conservateurs contre le droit à l’avortement s’ajoutent maintenant des attaques contre

  • l’accès au savoir, avec les menaces de suspension de financements pour la recherche scientifique, 
  • le droit à l’information, avec une politique de marginalisation et de dénigrement des médias traditionnels au profit d’influenceurs pro-Trump triés sur le volet,
  • l’administration publique, qu’Elon Musk est en train de démanteler

Une offensive réactionnaire mondiale et organisée 

Cette offensive réactionnaire est internationale. Elle s’inscrit dans un agenda conservateur qui dépasse les frontières des Etats-Unis, reposant sur une idéologie misogyne, masculiniste et raciste. 

 

Les récents soutiens et rassemblements entre représentants d’extrême droite  du monde entier témoignent des réseaux qui existent entre ces acteurs. Comme l’ont souligné plusieurs intervenantes d’Italie, de Belgique, et d’Espagne, nous en observons des manifestations en Europe, inspirées directement du trumpisme.

 

En Italie, les intimidations policières contre les journalistes se multiplient, de même que les pression du gouvernement de Giorgia Meloni vis-à-vis des médias. En Hongrie et en Pologne, des atteintes similaires à la liberté de la presse ont été relevées. Les menaces, pressions et violences sexistes sont devenues une réalité quotidienne pour bon nombre de femmes journalistes, comme le montre  l’exposition inaugurée le jour même de l’événement “Le journalisme à l’ère #MeToo” de Reporters Sans Frontières. 

 

Derrière ces attaques, ce sont les valeurs démocratiques, le multilatéralisme tel que défini par l’ONU, et la solidarité internationale qui sont en jeu. La décision soudaine et unilatérale du gel de l’aide publique au développement des Etats-Unis, qui s’est ensuite transformée en suppression de plus de 90% de ces financements, inspire et renforce d’autres discours et mesures préoccupantes. Aux Pays-Bas, par exemple, la coalition gouvernementale, qui inclut désormais le parti d’extrême droite, a effectué des coupes inédites dans le budget consacré aux ONG.

 

En France, où d’immenses coupes ont aussi été opérées sur fond d’austérité budgétaire, l’aide publique au développement a été vivement attaquée par des élu·e·s d’extrême droite, qui s’inspirent directement d’Elon Musk.

 

Marie-Cécile Naves, sociologue et directrice de l’Observatoire Genre et Géopolitique à l’IRIS, le résumait ainsi : « Les Etats-Unis de Trump sont la manifestation d’un phénomène mondial. Ils pratiquent le chantage et le mensonge en public. Il s’agit d’une théâtralisation de la prédation, et ce en présentant les dictatures comme ayant plus de valeurs que les démocraties. La domination est considérée comme une valeur et la solidarité comme une faiblesse”.

Bataille sémantique et inversions des valeurs

Les tenants de ce backlash souhaitent imposer des récits réactionnaires, et souvent mensongers, dans le débat public, et notamment à travers les médias. Ils se basent sur des méthodes de désinformation et d’inversion des valeurs. Ainsi, la proscription de certains mots dans l’administration publique aux Etats-Unis, la marginalisation de plusieurs catégories de la population (femmes, personnes racisées, personnes LBGTI+), le déni scientifique se font au nom de la liberté, ou plutôt d’une certaine conception de la liberté, qui vise précisément à interdire, tout en accusant l’autre d’être le censeur.

 

Dans cette logique, les droits des femmes sont instrumentalisés à des fins racistes, dans une forme de fémonationalisme. Les journalistes qui s’expriment sur les enjeux féministes et économiques sont soupçonné·e·s de “militantisme”, tandis que des mots et expressions comme “wokisme” sont présentés comme des paroles prétendument neutres. En France aussi,  une stratégie de grande envergure est en train d’être déployée par les mouvements réactionnaires : rachats ou tentatives de rachats d’écoles de journalisme, de maisons d’édition politique et scolaire, et création de nouveaux établissements qui sont des pépinières de médias d’extrême droite, etc.

Des résistances s’organisent

Pour contrer cette offensive, des résistances existent. Cette journée a permis de mettre en lumière certains de ces outils de contre-pouvoir démocratique. L’importance du travail des médias indépendants a été soulignée à plusieurs reprises. Les médias d’investigation notamment, à l’image de StreetPress, réalisent des enquêtes approfondies sur l’extrême droite en France. Leur expertise est essentielle pour permettre d’alimenter l’esprit critique des citoyen·ne·s.

 

A ceci s’ajoute la reconnaissance du travail des médias locaux. Laëtitia Greffié (rédactrice en cheffe Ouest France) a par exemple partagé l’existence du Réseau Égalités de Ouest France. Cette initiative portée en interne par des jeunes journalistes de la rédaction a permis l’introduction de pratiques inclusives, ayant des effets de féminisation du personnel ainsi que des effets éditoriaux considérables. 

 

Sara El Massaoudi, journaliste en Belgique et chargée de projets pour l’Association pour la Diversité et l’Inclusion dans les Médias, a présenté le cordon sanitaire médiatique institué en Belgique francophone depuis les années 80. Il repose sur le principe de ne pas donner la parole en direct sur des médias audiovisuels à des partis ou mouvements politiques aux discours liberticides, antidémocratiques ou qui ne rentrent pas dans le cadre légal. Ce dispositif exceptionnel, est aujourd’hui sous une pression double : celle des partis d’extrême droite qui veulent s’en affranchir ; et celle de partis de droite traditionnels, qui utilisent leur temps de parole médiatique pour se se faire les relais de la rhétorique sexiste et xénophobe de l’extrême droite. 

 

L’engagement d’associations est également primordial pour documenter et former contre cette offensive. Prenons La Une !, collectif de femmes journalistes indépendantes et partenaire d’Equipop, défend l’égalité dans les rédactions et une meilleure représentation des femmes dans les médias. L’Association des journalistes LGBTI (AJL) œuvre pour un meilleur traitement des questions LGBTI dans les médias. Enfin, l’Association des Journalistes Antiracistes et Racisé.e.s, lutte contre le racisme dans la profession et les productions médiatiques (AJAR). 

 

Ces initiatives sont aujourd’hui essentielles, et ne doivent pas rester marginales. Le rapport de force économique est défavorable et les attaques sont vives, face à cela il faut créer des espaces de résistance – à l’image de cette journée – plus grands et investir tous les espaces médiatiques.

Un appel à la responsabilité et à l’union des forces 

Face à des réseaux d’extrême droite de plus en plus structurés, il faut des réseaux de résistance au moins aussi forts, notamment à l’échelle européenne. La présence de journalistes de France, d’Espagne, d’Italie, de Belgique, de médias publics et indépendants, laisse imaginer le potentiel des réseaux de médias et d’associations féministes et de défense des droits humains pour partager des alertes et des informations, échanger des pratiques face au backlash, raconter une autre histoire aux citoyen·ne·s en Europe. La construction de ce contre-récit doit être collective, et ce par la mobilisation de toutes et tous, chacun avec ses propres moyens et niveaux de responsabilité. 

 

Comme l’a affirmé Salomé Saqué, journaliste : “Il nous faut passer de l’indignation à la résistance. En effet, si les défenseur·e·s des droits des femmes et de la liberté de la presse font face aux mêmes adversaires, leurs moyens d’action peuvent également être mis en commun. Les associations féministes et les journalistes sont des allié·e·s réciproques dans le décryptage et la dénonciation de ce phénomène global d’accaparement et de domination de l’extrême droite.

 

Les féministes sont des lanceuses d’alerte, elles documentent les stratégies des anti-droits depuis longtemps. Il est temps que les médias leur fassent confiance et leur tendent le micro.”, a déclaré Lucie Daniel, Responsable de plaidoyer et d’études à Equipop

 

Soutenir les droits humains, la démocratie, les mouvements féministes : quelle implication pour un·e journaliste ? Par exemple, ne pas contribuer à la banalisation de l’extrême droite. ​​Admettre que toutes les opinions ne se valent pas – et rappeler que l’incitation à la haine raciale, au sexisme et à l’homophobie sont punies par la loi. Ne pas mettre dos à dos dans une interview une association féministe et une influenceuse d’extrême droite. Ne pas se laisser tenter par une culture du “clash” ou de la polarisation : s’interroger, par exemple, sur la pertinence de présenter l’avortement comme un sujet clivant, alors que 80% des français·e·s étaient favorables à sa constitutionnalisation. Ne pas se laisser distraire par le flot d’outrances des responsables populistes et d’extrême droite à travers le monde. Mais plutôt documenter, donner à voir et dénoncer l’agenda politique plus large et profondément anti-démocratique qu’ils ont en commun.

 

Et parce que la formation des futur·e·s journaliste est déterminante dans le traitement médiatique, il est impératif que les instituts et écoles de journalisme ouvrent leurs portes et travaillent main dans la main avec des associations spécialisées sur ces enjeux, telles que Prenons la Une !,  l’AJAR, l’AJL et Equipop.

La suite : rendez-vous à Séville et à Madrid pour des futurs féministes ! 

Equipop, en tant qu’organisation féministe de solidarité internationale, continuera de se mobiliser activement contre les mouvements anti-droits, notamment avec sa partenaire Prenons la Une ! 

 

Un rapport complet de cet événement, comprenant des recommandations, est en cours d’écriture. L’objectif sera de porter ces conclusions et recommandations dans des espaces plus larges, tels que les écoles de journalisme et auprès des pouvoirs publics. 

 

Prochain rendez-vous : la 4e Conférence internationale sur le financement du développement. A l’heure où les financements des associations féministes sont attaqués de toute part, l’égalité de genre ne doit pas être écartée de ces engagements internationaux. A ce titre, la rencontre Financing Feminist Futures, organisée par le consortium Walking the Talk, dont Equipop est membre, sera un lieu de mobilisation collectif majeur. Pour que ces enjeux ne soient pas passés sous silence, nous appelons les médias à s’en saisir et à relayer ces combats.