Des regards experts et militants pour encourager des politiques étrangères féministes

Des regards experts et militants pour encourager des politiques étrangères féministes

Le 23 novembre 2022, l’événement “Femmes et conflits : vers une diplomatie féministe” organisé par le CESE (Conseil économique, social et environnemental), le Haut Conseil à l’Egalité (HCE) et ONU Femmes France a rassemblé plus de 2 000 personnes en présentiel et en ligne, preuve d’un intérêt croissant sur le sujet et d’attentes fortes envers le gouvernement. Equipop, en tant que membre du HCE, est intervenue pour réaffirmer l’intérêt des politiques étrangères féministes comme réponse à de nombreux défis mondiaux.

Cette rencontre d’expert·e·s internationales, activistes et personnalités engagées autour de l’impact et du rôle des femmes dans les conflits et les processus de paix s’est tenue au cours d’une semaine particulièrement intense pour la lutte contre les violences de genre. Cette semaine a été marquée par de nombreuses manifestations dans le monde entier et a culminé lors de la Journée internationale de lutte contre toutes les formes de violences faites aux femmes. Ce 25 novembre a ensuite lancé la campagne annuelle des “16 jours d’activisme contre la violence basée sur le genre”, impulsée par l’ONU et mise en oeuvre par la société civile : 16 jours de sensibilisation, mobilisation et appel à l’action qui courent jusqu’au 10 décembre, journée internationale des droits humains. 

 

Le CESE, le HCE et ONU Femmes France ont organisé cet événement d’ampleur dans un contexte de multiples crises humanitaires et de conflits armés. En France, c’est aussi un climat favorable pour repenser l’action en faveur de l’égalité de genre à l’international : la Stratégie internationale pour l’égalité entre les femmes et les hommes (2018-2022), document-cadre du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, arrive à son terme.

Le rôle crucial des femmes dans les conflits et les processus de paix

La rencontre a débuté avec Thierry Beaudet, président du Cese, Sylvie Pierre-Brossolette, présidente du HCE et Céline Mas, présidente d’ONU Femmes France, qui, après avoir rappelé le contexte et l’objectif des discussions, ont laissé place à l’intervention de la lauréate du prix Nobel de la paix 2022. Oleksandra Matviichuk a commencé par rendre visible les rôles multiples et essentiels des femmes ukrainiennes depuis le début de la guerre, dans les domaines civil et militaire. Elle a ensuite plaidé pour une réforme du système de sécurité internationale afin de “briser le cercle d’impunité” des crimes de guerre. 

Lors de la première table-ronde intitulée “Survivantes de violences en temps de conflits : prévenir, protéger, reconstruire”, Svitlana Valko, chargée de la coordination des secours et de la protection au sein d’International Partnership for Human Rights (IPHR) en Ukraine et en Géorgie, a rappelé que le viol comme arme de guerre fait partie intégrante de la stratégie militaire russe et représente des modèles de guerre qui tendent à se propager. La juriste Céline Bardet, directrice de l’ONG We are NOT Weapons of War, a par la suite lancé un appel très clair aux États et aux bailleurs de fonds : il faut des financements conséquents pour documenter les violences sexuelles commises dans le cadre de la guerre.

 

A travers son regard de sociologue et psychothérapeute, Esther Mujawayo, fondatrice de l’association rwandaise AVEGA, rescapée du génocide de 1994 et co-autrice de l’ouvrage Survivantes (2004) a replacé les échanges dans une approche holistique et consciente de l’horreur subie par les survivant·e·s de violences en temps de conflits. Esther Mujawayo et Justine Masika, fondatrice de La Synergie des Femmes pour les Victimes des Violences Sexuelles (SFVS) à Goma, en République démocratique du Congo, et intervenante dans la seconde table ronde “Conflits, médiation et processus de paix : le rôle crucial des femmes”, ont toutes deux mis en lumière le rôle central des femmes dans le contexte de négociations de paix et de reconstruction du pays.

 

Dans ce deuxième temps de parole, la sociologue et écrivaine iranienne Chahla Chafiq a insisté sur “l’interconnexion entre toutes les thématiques que nous explorons : l’absence de droits humains, l’absence de liberté, et la sacralisation des violences sexistes et sexuelles”. Tout cela s’incarne selon dans le régime iranien, dont la présence et la reconnaissance à l’ONU va à l’encontre de toute diplomatie féministe. La docteure Anarkali Honaryar, femme politique afghane, sénatrice jusqu’à la chute de Kaboul en 2021 et représentante des minorités hindoues et sikhs, a fait le même constat à propos du régime taliban.

La France attendue en première ligne sur les politiques étrangères féministes

Les échanges se sont conclus par la table ronde “Pour construire la paix, l’urgence de porter une diplomatie féministe”. Les co-président·e·s de la commission diplomatie féministe du HCE, Jocelyne Adriant-Mebtoul et Nicolas Rainaud (responsable plaidoyer chez Equipop), ont partagé quelques clés de compréhension de la diplomatie féministe à travers trois axes en particulier : une approche transformative, une cohérence des politiques et l’affirmation d’une solidarité internationale envers les féministes.

 

Magali Lafourcade, secrétaire générale de la CNCDH, l’a résumé ainsi : “le genre doit devenir un levier transformatif essentiel des politiques étrangères”. Ces propos ont fait écho au discours d’introduction de Parwana Paikan, diplomate afghane exerçant en France avant la prise de pouvoir des talibans. Celle-ci a enjoint la France, membre de l’Union européenne et du Conseil de Sécurité de l’ONU, à se poser comme leader des politiques étrangères féministes, et d’entraîner derrière un nombre significatif d’autres Etats.

 

Florence Cormon-Veyssière, directrice adjointe de la direction des Nations unies, des organisations internationales, des “droits de l’homme” et de la francophonie au MEAE, a souligné la nécessité d’inclure les organisations de la société civile dans la construction de la nouvelle stratégie internationale pour l’égalité entre les femmes et les hommes. C’est effectivement indispensable, car les OSC apporteront une richesse de points de vue et une exigence de redevabilité. 

Si plusieurs interpellations de la CNCDH et du HCE sont restées en suspens, le MEAE aura bientôt l’occasion d’apporter des réponses plus précises dès 2023, lors de l’évaluation à mi-parcours de la mise en œuvre du 3e Plan national d’action Femmes paix et sécurité 2021-2025.

A l’issue de la rencontre, des militantes de la société civile ont été invitées à s’exprimer sur l’action prioritaire que la France devait prendre pour mettre en œuvre concrètement des politiques étrangères féministes.