– Conférence à Genève : face au backlash, renforcer les alliances pour un agenda féministe global
Mardi 21 novembre 2023, Equipop a organisé une conférence à Genève sur le thème « Face au backlash : Promouvoir les droits et la santé sexuels et reproductifs dans les espaces multilatéraux » en partenariat avec la Fondation Rosa Luxembourg et Sexual Rights Initiative. L’événement a accueilli une centaine de participant·e·s, en ligne et sur place, preuve d’un fort intérêt pour cet enjeu. Les discussions entre les panélistes d’horizons variés ont permis de dégager des pistes d’action, à travers notamment la création d’alliances multi-actrices et acteurs pour contrer le backlash sous toutes ses formes et dans toutes les instances multilatérales.
A l’approche du 75ème anniversaire de la Déclaration universelle des droits humains, Equipop, la Fondation Rosa Luxembourg (bureau de Genève) et SRI ont organisé une conférence à Genève. L’objectif était d’analyser les dynamiques de backlash contre les droits humains dans le monde et de renforcer les alliances et les stratégies collectives face à ce phénomène. Cette conférence fait également partie de la campagne Countdown 2030 Europe #AWorldWhere.
Le lieu de la conférence, Genève, était particulièrement stratégique : le Palais des Nations et le Conseil des Droits de l’Homme sont des espaces où la communauté internationale fait avancer les normes en matière de droits humains. Mais Genève est aussi un haut lieu de mobilisation des mouvements anti-droits. C’est là que la “Déclaration du consensus de Genève” a été adoptée en 2020*, marquant une étape majeure dans l’offensive anti-droits. Un autre évènement de ce type, positionné contre le droit à l’avortement et les droits des personnes LGBTQIA+, et qui s’est tenu cette fois à l’ONU à New York quelques jours avant la conférence, est venu confirmer l’urgence d’une action collective.
Le “backlash” contre les droits et la santé sexuels et reproductifs : un contrôle des corps et des sexualités
Clara Dereudre, chargée de plaidoyer à Equipop, a présenté le rapport publié cette année avec la Fondation Jean-Jaurès sur le backlash contre les droits des femmes. Ce terme désigne « les réactions des conservateurs, ou mouvements anti-droits, face aux avancées en matière de droits des femmes, et plus largement de droits humains. Il permet aussi de décrire la stratégie déployée par ces mouvements conservateurs et les outils qu’ils mobilisent pour menacer, attaquer et bafouer ces droits. »
Historiquement, le principal objectif de ces mouvements anti-droits est le contrôle des corps et des sexualités. En plus de l’enjeu de l’avortement, ces mouvements nient aujourd’hui les droits de toute personne qui ne répond pas au modèle hétéronormé et cisgenre. Leurs attaques s’exercent sous diverses formes, dans un continuum de violences sexuelles et institutionnelles : renvoi systématique des corps des femmes à leur fonction reproductrice, négation de l’identité des personnes trans, criminalisation de la sexualité des personnes homosexuelles. A partir de cette croisade anti-DSSR, les mouvements anti-droits ont étendu leur agenda et en viennent à s’attaquer à d’autres droits humains fondamentaux. Il existe ainsi une convergence des agenda anti-genre, anti-droits, anti-démocratiques et climato-sceptiques.
L’interdépendance des droits et des systèmes d’oppression
Face à ce constat, les intervenant·e·s de la conférence ont mis en avant l’interdépendance des systèmes d’oppression. Vuyiseka Dubula (directrice du Département Communautés, Droits et Genre, au Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme) a souligné que les communautés les plus touchées par les mouvements anti-droits sont également les plus touchées par le changement climatique, malgré leur moindre contribution à ce dernier. C’est notamment le cas au Sahel, où le backlash se double d’une crise sécuritaire et climatique. Wendyam Micheline Kabore, Directrice exécutive, IPBF) a d’ailleurs rappelé que 75% des populations déplacées sont des filles et des femmes. Elle a par la même occasion souligné l’urgence d’apporter plus de soutien aux activistes dont de nombreuses ont été agressées du fait de leur engagement.
Pour lutter contre ces mouvements conservateurs, il est nécessaire de s’organiser et de défendre les droits humains avec constance, en tenant compte de leur caractère indivisible. Cette approche doit notamment diriger l’action des Etats qui revendiquent une politique étrangère féministe, comme la France, le Mexique et l’Espagne, représenté·e·s lors de cette conférence par leurs ambassades respectives. Le représentant permanent de la France auprès de l’Office des Nations unies à Genève et des organisations internationales en Suisse, l’Ambassadeur Jérôme Bonnafont, a insisté sur le fait qu’il ne peut y avoir de réalisation des droits par des approches segmentées, “les droits économiques, sociaux et culturels et les droits civils et politiques sont indivisibles”. Estelle Wagner, experte Plaidoyer International à IPPF Genève, a elle mis en avant le fait que les DSSR et les droits économiques et sociaux sont interconnectés. Francisca E. Méndez Escobar, Ambassadrice, Représentante permanente du Mexique auprès de l’Office des Nations Unies à Genève et des organisations internationales en Suisse a insisté sur l’importance que la politique étrangère féministe infuse à tous les niveaux, dans toutes missions diplomatiques et dans toutes les agences multilatérales. Anthea Taderera, experte Plaidoyer pour SRI, a souligné l’importance d’une approche cohérente : “un État peut se considérer comme un champion en matière de DSSR et être régulièrement critiqué pour ses manquements aux droits liés à la justice économique, à l’absence de racisme, à la liberté de circulation et au droit au développement.”
Renforcer les alliances et augmenter les financements pour les mouvements féministes
Lutter contre le backlash exige de construire des collaborations solides au-delà des frontières entre actrices et acteurs issu·e·s de secteurs différents. Le rôle central des agences onusiennes sur cette question a été mis en exergue par Aurora Díaz-Rato Revuelta, Ambassadrice et Représentante permanente de l’Espagne auprès de l’Office des Nations Unies à Genève. Les panélistes ont mis en lumière les stratégies des mouvements anti-droits pour briser les solidarités féministes, dans un contexte où les luttes sont déjà fragmentées par un modèle de financement concurrentiel et des approches politiques et budgétaires en silos.
Cette question cruciale du financement a été soulevée par plusieurs intervenant·e·s. Damjan Denkovski, directeur exécutif adjoint du Center for Feminist Foreign Policy, a souligné les moyens financiers importants dont bénéficient les mouvements anti-droits, et qui leur permettent de peser dans les espaces multilatéraux. Citant un rapport du Forum parlementaire européen sur les droits sexuels et reproductifs, il a indiqué que les financements à destination des mouvements anti-genre en Europe avaient quadruplé entre 2009 et 2018.
Cette tendance est à la hausse et doit être mise en regard avec la situation des mouvements et associations féministes, qui souffrent quant à elles d’un manque chronique de financements. A ce sujet, Sharlen Sezestre, membre du bureau du Black Feminist Fund, a alerté sur le manque encore plus criant d’accès aux financements pour les organisations féministes noires. D’après un rapport du Black Feminist Fund, 59% de ces organisations n’ont jamais reçu de financement de structure (core funding). Elle a plaidé en faveur d’une culture de confiance envers les associations féministes et de modalités d’octroi des financements plus souples, tant publics que privés. Enfin, Vuyiseka Dubula a souligné l’importance des investissements pour les droits et la santé sexuels et reproductifs : « en ce qui concerne les DSSR, si l’on n’avance pas, on recule. Pour l’instant, nous restons immobiles et nous allons tomber parce que nous ne pouvons pas nous permettre de rester immobiles. Si nous n’investissons pas suffisamment, tous les investissements risquent d’être gaspillés. », un appel à l’action adressé aux Etats et aux bailleurs.
Rassemblant Etats, instances multilatérales et organisations de la société civile, cette conférence se veut une étape dans un processus de mobilisation de plus long terme. La présence de trois ambassades est un signal positif, il conviendra de veiller à la consolidation de cette dynamique et à son élargissement à d’autres Etats. Equipop continuera à apporter sa contribution à cette mobilisation, en renforçant ses alliances avec des acteurs et actrices de l’écosystème genevois.
* Le 22 octobre 2020, 35 États des Nations unies ont signé la Déclaration du consensus de Genève, dans laquelle ils réaffirment notamment leur opposition au droit à l’avortement. Pour en savoir plus, lire le rapport Rapport Equipop/Fondation Jean Jaurès.