– Pour un G7 résolument féministe : Lettre ouverte de Hadja Idrissa Bah à Emmanuel Macron
Alors que la 63e édition de la Commission sur le statut des femmes des Nations Unies (CSW) bat son plein à New York, et que les féministes du monde entier se rassemblent pour parler des droits des femmes, Hadja Idrissa Bah s’adresse directement au Président Macron. La jeune Guinéenne se fait ici la porte-parole d’un groupe plus large de féministes d’Afrique de l’Ouest (1), et réclame de véritables engagements de la part de la présidence française pour que ce G7 soit véritablement féministe.
Monsieur le Président de la République Française,
Je m’appelle Hadja Idrissa Bah, j’ai 19 ans, je suis étudiante et présidente fondatrice du club des jeunes filles leaders de Guinée. Depuis l’âge de 13 ans, je lutte contre les violences basées sur le genre. Je me bats contre l’excision, dont j’ai été l’une des victimes, mais aussi contre le mariage des enfants. Le 5 février dernier, à Lyon, j’ai rencontré les sherpas du G7. Ces diplomates négocieront les engagements qui seront pris par vous et les autres chef·fe·s d’Etat et de gouvernement, sous la présidence de la France.
Cette année, vous avez décidé de placer le G7 sous le signe de l’égalité femmes-hommes. Cette volonté politique est porteuse d’espoir. Les regards vont se tourner vers la France, vers vous. Dans les mois à venir, vous allez prendre des décisions qui vont impacter la vie de jeunes filles, partout dans le monde, y compris en Afrique de l’Ouest, d’où je viens. Et ces jeunes filles ont leur mot à dire.
De retour à Conakry, je voudrais par cette lettre ouverte me faire l’écho de ces jeunes filles; vous parler de leur histoire, de leurs attentes, et de leurs combats ; je voudrais ici porter la voix des “sans voix”, pour que cette présidence française du G7 soit un grand moment d’engagement politique et financier au service des droits des filles et de l’égalité femmes-hommes.
Chaque jour, des jeunes féministes comme moi sensibilisent leurs ami.e.s, leurs parents; elles plaident auprès des leaders religieux d’influence pour faire évoluer les mentalités et les comportements, mais aussi auprès des autorités, pour l’application stricte de la loi et pour l’augmentation des moyens financiers pour la lutte contre les inégalités liées au genre.
Nous, jeunes féministes de Guinée, du Mali, du Burkina Faso, du Bénin, de Mauritanie, du Niger, du Sénégal, de Côte d’Ivoire, sommes en première ligne de la lutte pour les droits des jeunes filles. Et nous sommes en train de déclencher une révolution chez les jeunes filles.
Mais comment passer à la vitesse supérieure, lorsque nous n’avons aucun soutien, ni politique, ni financier ? Notre mobilisation, à l’instar de toutes les mobilisations féministes partout dans le monde, y compris en France, est un parcours d’obstacles. Les menaces et le harcèlement sur les réseaux sociaux, les intimidations, sont notre lot quotidien. Nos sujets dérangent car il s’agit ni plus ni moins que de renverser des rapports de pouvoir inégalitaires ancrés profondément dans nos sociétés.
Cette année, vous avez l’occasion d’appliquer la diplomatie “féministe” dont se réclame la France. Vous avez l’occasion de dépasser les discours convenus autour des questions d’égalité femmes-hommes en vous positionnant résolument du côté des mouvements féministes, ceux qui sont en train de transformer la société, en Afrique de l’Ouest, en France et dans le monde.
Pour être à la hauteur de ce rendez-vous, la Présidence française du G7 devra :
- Promouvoir le droit des femmes et des filles à disposer librement de leur corps. Investir dans l’autonomisation économique et l’emploi des jeunes est une bonne chose, mais ça n’est pas suffisant. La pierre angulaire est la capacité d’une adolescente à décider de son avenir. Nous avons donc besoin de financements supplémentaires pour l’éducation, y compris les programmes d’éducation complète à la sexualité.
- Impliquer et écouter les jeunes filles dans toutes les prises de décision de cette présidence française du G7. Comme me l’a dit une amie féministe : « le plus souvent, les questions de femmes sont discutées par des gentils messieurs en costard-cravate et pas par les femmes elles-mêmes ». Or, ce qui se décide sans nous se décide contre nous.
- Augmenter les financements des associations féministes que nous représentons, en Afrique de l’Ouest, en France et dans le monde. Vous avez annoncé la couleur du prochain G7 : des résultats concrets pour lutter contre les inégalités. Soutenir financièrement le mouvement féministe, c’est s’inscrire dans cette politique volontariste.
Nous comptons sur vous.
Hadja Idrissa Bah, Guinée,
Présidente du Club des Jeunes Filles Leaders de Guinée
(1) Signataires :
Rose DIEME, Sénégal, Membre du Réseau des filles et jeunes femmes leaders du Sénégal (Youth Women for Action- YWA Senegal)
Cornelia GLELE, Bénin, Journaliste et réalisatrice cinéma. Membre du réseau ouest-africain des jeunes femmes leaders et directrice du festival international des films de femmes de Cotonou
Alexia HOUNTONDJI, Bénin, Directrice exécutive de l’association Rayons des Initiatives Culturelles Musicales et des Arts Oraux (Ricmao Asso) et membre du Parlement des jeunes du Bénin
Néné Fatou MARICOU, Sénégal, Présidente et membre fondatrice du Réseau des filles et jeunes femmes leaders du Sénégal (Youth Women for Action- YWA Senegal)
Dieynaba NDIO, Mauritanie, Membre de l’association Initiative pour la Santé de la Reproduction (ISR) et du Collectif Voix des Femmes
Wendyam Micheline KABORE, Burkina Faso, Secrétaire Générale et coordinatrice de l’Initiative Pananetugri pour le Bien-être de la Femme (IPBF)
Jonas KINDAFODJI, Bénin, Jeune ambassadeur pour la santé de reproduction des adolescent·e·s et jeunes au Bénin et coordonnateur de la Plateforme Synergie d’Action des organisations de la société civile de jeunes pour la lutte contre les violences sexuelles faites aux filles et aux femmes
Mistoura SALOU ADJIBADE, Bénin, Chargée de programme Santé et droits sexuels et reproductifs des adolescents et jeunes & Genre à l’ONG CeRADIS (Centre de Réflexion et d’Action pour le Développement Intégré et la Solidarité)
Aminata Badiane THIOYE, Sénégal, Responsable du pôle “Genre et Droits Humains” de l’Alliance Nationale des Jeunes pour la Santé de la reproduction et la planification familiale (ANJ-SR/PF)
Oumou Salif TOURE, Mali, Chargée de projet génération fille à l’Association des jeunes pour la citoyenneté Active et la démocratie (AJCAD Mali)
Denise Epiphanie HABA, Guinée, Trésorière du Mouvement d’action des Jeunes de AGBEF/ IPPF et membre du réseau des Jeunes ambassadeurs pour la santé de la reproduction et la planification familiale de Guinée (Conakry)