– Assemblée générale des Nations Unies : franchir un palier vers de véritables politiques étrangères féministes
L’Assemblée Générale des Nations Unies, qui s’est tenue du 13 au 27 septembre 2022, était l’occasion de porter le concept de politique étrangère féministe. Si le sujet a été mis en avant dans des événements parallèles, il a été très peu présent dans les discours en plénière. Il s’agira de faire vivre les débats et réflexions conduites cette année pour que la dynamique se propage au sein de l’ONU et de ses États membres.
Depuis plusieurs mois, le concept de politique étrangère féministe est promu et affiné dans de nombreux espaces. Le 12 septembre, l’Allemagne avait organisé la conférence “Shaping Feminist Foreign Policy” avec pour objectif d’alimenter le contenu de sa politique étrangère féministe. Les Pays-Bas, le Rwanda et l’Albanie y sont par exemple intervenus.
Deux semaines plus tard, la 77e session de l’AGNU constituait un nouveau temps fort pour réaffirmer cette approche. Des échanges formels ou informels ont eu lieu et, après que le président libérien George Weah s’est proclamé ‘féministe en chef’, la ministre du Genre, des Enfants et de la Protection sociale Williametta Saydee-Tarr a annoncé que le pays souhaitait adopter une politique étrangère féministe. Progressivement, on assiste peut-être à la formation d’un groupe d’États leaders de plus en plus solide.
Le concept de politique étrangère féministe réaffirmé
Plus largement, quelques prises de parole à la tribune de la session plénière ont abordé les questions d’égalité de genre. Le président bolivien Luis Arce a vanté l’année 2022 comme celle de la “dépatriarcalisation” en Bolivie et a encouragé les Nations Unies à faire de même. Mohamed Bazoum, président du Niger, a mentionné “l’équité de genre”, en tant que priorité dans l’éducation.
Lors de l’événement ‘Generation Equality Moment’ d’ONU Femmes, la ministre de l’Europe et des Affaires étrangères française Catherine Colonna a affirmé que le droit à l’avortement était une des clés pour atteindre l’égalité de genre. La secrétaire d’État Chrysoula Zacharopoulou a annoncé que la France renouvelerait le Fonds de soutien aux organisations féministes lancé en 2019 (sans à ce stade en préciser le montant et la durée), mais aussi que la France rejoignait l’Alliance pour les mouvements féministes, un cadre de concertation entre les acteurs et actrices féministes politiques et la société civile. Rejoindre ce mouvement signifie que la France accepte d’avoir des responsabilités en termes de politique étrangère féministe, elle se doit donc de les respecter.
Des engagements pris pendant les événements parallèles
Durant les événements parallèles, l’égalité de genre a très souvent été mise en lien avec des thématiques précises. Lors de la conférence de reconstitution du Fonds Mondial, le président français Emmanuel Macron, bien que brièvement, a énoncé parmi les priorités de la France la lutte contre les inégalités de genre dans l’accès aux soins.
Le lien entre éducation et égalité de genre a été fait de manière plus substantielle lors du Transforming Education Summit (TES) convoqué par Antonio Guterres. Pendant une session du sommet dédiée à la thématique ‘Advancing gender equality and girls’ and women’s empowerment in and through education’, le ministre de l’Éducation et de la Jeunesse français Pap Ndiaye a clairement affirmé : “Une politique d’éducation doit être féministe, ce n’est pas une option, c’est une obligation”. Il a précisé que la France accordait une grande importance à l’égalité de genre dans les projets éducatifs qu’elle soutient dans le monde.
Le lien entre éducation et DSSR a aussi été fait à plusieurs reprises. La directrice exécutive de UNAIDS, Winnie Byanyima, a rappelé que l’éducation est la plus grande réponse à l’épidémie du VIH en Afrique subsaharienne : si une fille est scolarisée, son risque de contracter le VIH est réduit de 50%. Malgré ces interventions encourageantes, la déclaration finale d’Antonio Guterres a été décevante sur la question de l’éducation complète à la sexualité.
Au plus haut niveau, le prisme féministe n’est que trop rarement appliqué à la politique étrangère
La guerre menée par la Russie contre l’Ukraine a bien sûr été au cœur de nombreux discours lors de la plénière de l’AGNU. Pour Emmanuel Macron, plusieurs camps se dessinent, et “ceux qui se taisent aujourd’hui servent malgré eux ou secrètement avec une certaine complicité la cause d’un nouvel impérialisme”.
Le même type de raisonnement pourrait s’appliquer à l’égalité de genre comme enjeu géopolitique : ne pas s’exprimer sur le sujet, ne pas défendre les droits des femmes face aux menaces revient à les laisser reculer. Pourtant, la France n’a pas soulevé la thématique en session plénière. Il y a aussi eu un silence général sur l’oppression des femmes en Iran, à l’exception de quelques États dont les États-Unis qui en ont fait mention brève.
A la réunion du conseil de Sécurité du 22 septembre sur la question des crimes commis par la Russie en Ukraine, le Secrétaire Général des Nations Unies Antonio Guterres a listé les viols et violences sexuelles comme crimes de guerre dont la Russie est accusée. Adopter de véritables politiques étrangères féministes permettrait d’inscrire les questions de genre dans l’analyse et la résolution des conflits.
Les discours en plénière sur la guerre en Ukraine, par ailleurs parfaitement légitimes, ont ignoré le lien entre violences sexuelles, prise en charge des réfugié·e·s et victimes de la guerre, qui a par exemple été fait par Iryna Dovgan dans l’événement organisé par la fondation du Prix Nobel de la Paix Denis Mukwege.
Intensifier la dynamique d’ici l’AGNU 2023
Enfin, un an après le Forum Génération Egalité, ONU Femmes a lancé une Platform for Accountability des engagements pris en juin 2021. Pour l’instant, selon le rapport “Generation Equality Accountability”, la participation des Etats à cette dynamique semble assez faible. Il est nécessaire qu’elle s’intensifie pour que la plateforme constitue une base pour non seulement mesurer les progrès, mais aussi contribuer à aiguiller les États vers des politiques étrangères féministes. La France, pays co-organisateur du FGE, a tout un rôle à jouer dans cette dynamique.
Dans les prochains mois, Equipop contribuera à divers espaces destinés à enrichir et affermir les politiques étrangères féministes. On peut espérer que les efforts communs portent leurs fruits à moyen terme, et que l’AGNU 2023, entre autres, traite de ces sujets de façon plus centrale.