– Diplomatie féministe : la priorité présidentielle se traduira-t-elle dans la politique de développement solidaire ?

– Diplomatie féministe : la priorité présidentielle se traduira-t-elle dans la politique de développement solidaire ?

Au début de l’année 2019, le président de la République a affirmé haut et fort que la France se doterait d’une véritable diplomatie féministe. Cette annonce, Jean-Yves Le Drian l’a d’ailleurs détaillée aux côtés de Marlène Schiappa dans une tribune publiée dans Libération, le 8 mars dernier. Ce faisant, la France rejoint le camp des pays – de la Suède à l’Australie en passant par le Canada – qui placent la lutte contre les inégalités femmes-hommes au cœur de leur approche de politique extérieure. Equipop s’en félicite. C’est un pas très structurant pour l’action de notre pays à l’international. Mais pour que cette volonté politique ait toute la crédibilité qu’elle mérite, il est indispensable qu’elle infuse l’ensemble des politiques et outils de la politique extérieure de la France, à commencer par la future loi d’orientation et de programmation (LOP) relative à la politique de développement solidaire et de lutte contre les inégalités mondiales, qui fixera les orientations pour 2020-2025.

LOP : dans le projet de texte, le compte n’y est pas pour la diplomatie féministe

Le vendredi 22 mars, Equipop a participé à un second échange, avec le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères et les autres membres du Conseil national pour le développement et la solidarité internationale (CNDSI), spécifiquement dédié à la révision de la LOP du 7 juillet 2014. Notre message était simple : le compte n’y est pas ! La volonté affichée au plus haut niveau que la France porte une diplomatie féministe ne transparaît pas suffisamment dans le projet de loi. Il faut donc, premièrement, que la visibilité de cette priorité politique soit plus grande dans le texte et, deuxièmement, que les moyens de sa mise œuvre soient plus clairement établis.

L’approche féministe n’est pas sectorielle mais transversale. Le texte doit la traiter comme telle, ce qui n’est pas le cas actuellement. Ce n’est qu’à la page 23 qu’apparaît le mot féministe pour la première fois. De plus, ni les principes d’action ni les orientations stratégiques présentées n’y font pour l’instant mention. Cette approche féministe doit également passer par le choix des mots. Les mots comptent, comme l’a souligné le ministre lui-même à de nombreuses reprises, y compris dans l’enceinte du CNDSI. Or, la sémantique utilisée dans le projet de loi contribue à invisibiliser les femmes (dominance du masculin, pas de féminisation systématique des noms, usage de l’expression « Droits de l’Homme » alors même que le ministre s’était prononcé en faveur de l’appellation « Stratégie Droits humains et développement »).

Concernant les priorités qui se dessinent dans ce texte, nous accueillons, bien entendu, très favorablement la promotion d’une approche par les droits, et en particulier le fait que la France se positionne clairement en faveur de la défense des droits les plus basiques et les plus controversés : les droits de disposer librement de son corps, et de décider de sa sexualité. Il faut accueillir tout aussi favorablement la priorisation de la promotion d’une meilleure représentation des femmes dans les espaces de décision et d’un meilleur accès aux ressources via, d’une part, le financement des associations et mouvements féministes, et via, d’autre part, l’autonomisation économique des femmes. Cependant, il nous paraît indispensable que ce texte précise la méthode et les moyens employés.

« Mettre l’argent là où notre parole se trouve »

Concernant les ressources financières, il s’agit, comme le proposaient les députées Mesdames Clapot et Dumont dans leur rapport d’information sur la place des droits des femmes dans la diplomatie française, « de mettre l’argent là où notre parole se trouve ». A ce sujet, il est indispensable d’avancer vers l’intégration d’une budgétisation sensible au genre en créant une annexe au projet de loi de finances (« jaune budgétaire ») retraçant les crédits consacrés par la France aux droits des femmes au plan intérieur et extérieur (recommandation 36 du rapport).

Par ailleurs, mettons-nous une fois pour toute d’accord sur les objectifs relatifs à l’APD genrée, et notamment sur les marqueurs qui permettent de suivre nos engagements. Nous proposons que la France se fixe comme objectif que d’ici 2025, 85 % de l’aide soit marquée 1 ou 2 et que 20 % soit marquée 2 (1). Il est nécessaire d’assortir ce texte d’une programmation pour y parvenir, car pour l’instant on ne sait pas trop comment on passera du 28 % actuel vers le 50 % puis le 85 %. Exercice encore plus difficile pour le marqueur 2, où nous sommes aux alentours de 3 %.

La ministre chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations a récemment annoncé un fonds de 120 millions d’euros pour les associations féministes. Cela constitue un levier sans précédent pour le travail de plaidoyer et les interventions de terrain de ces actrices du changement très largement sous-financées. Il reste à préciser comment ces 120 millions d’euros seront attribués. Passeront-ils par l’AFD uniquement ? Ces 120 millions d’euros doivent apparaître dans la programmation budgétaire. Quels types de projets vont-ils soutenir ? Quelles vont être les modalités de financement pour les petites structures ?

Pour terminer, en termes de méthode aussi bien que de moyens, on ne peut pas se contenter d’espérer que cette orientation ambitieuse repose sur la bonne volonté des équipes en place au sein du ministère et au sein des agences. Il faut des professionnel·le·s dédié·e·s et il faut poursuivre l’effort d’appropriation de cette démarche, aussi bien au niveau du ministère que des principaux opérateurs, car les résistances sont nombreuses et le portage de cet enjeu très peu partagé.

Au final, la copie mérite donc d’être retravaillée si l’objectif est bel et bien de rendre concrets les discours politiques qui portent la promotion de l’égalité femmes-homme au rang de priorité pour la France. Sans cela, les discours resteront des vœux pieux et les mots vides de sens.

(1) Le Comité d’Aide au Développement (CAD) de l’OCDE qui assure un suivi de l’aide en faveur de l’égalité femmes-hommes et des droits des femmes a défini des marqueurs permettant d’identifier les écarts entre engagements politiques et soutien financier des pays. Le suivi de ces marqueurs renforce la transparence et la redevabilité du financement en faveur de l’égalité femmes-hommes et des droits des femmes. Est marqué 1 tout projet ou politique qui intègre l’égalité de genre comme un objectif important même s’il n’est pas le principal et marqué 2 tout projet ou politique dont l’égalité de genre est l’objectif principal.