– COVID-19 : la réponse de l’AFD ne doit pas être aveugle au genre

– COVID-19 : la réponse de l’AFD ne doit pas être aveugle au genre

Le 9 avril, la France, via l’Agence Française de Développement (AFD), a lancé l’initiative « Covid-19 – Santé en commun », pour soutenir les 19 pays prioritaires de l’aide publique au développement française, dont la plupart se trouvent en Afrique. Equipop souligne la nécessité de construire une réponse qui ne soit pas « aveugle au genre ».

La semaine dernière, l’AFD a annoncé une initiative pour répondre à la crise Covid-19. Ce dispositif a pour principaux axes d’intervention : le renforcement des réseaux régionaux de surveillance épidémiologiques ; des contributions aux plans nationaux de réponse au Covid-19 des pays africains ; des appuis aux principaux acteurs français de la réponse au Covid-19 (ONG, fondations, réseaux, organismes de recherche, etc) et des appuis budgétaires pour le renforcement des systèmes de santé. L’annonce mentionne la somme de 1,2 milliard d’euros alloués « d’ici à l’été 2020 ». 150 millions d’euros seront alloués sous forme de dons et près de 90% de cette enveloppe fera l’objet de prêts.

Equipop, notamment avec le soutien de l’AFD, intervient aux côtés des associations ouest-africaines depuis vingt ans. Au Bénin, au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire, en Guinée, au Mali, au Niger et au Sénégal, les associations partenaires développent des projets abordant de manière croisée la santé, l’égalité femmes-hommes, et la citoyenneté. Aujourd’hui, ces associations rejoignent chercheur·e·s et professionnel·le·s de la santé pour alerter sur la nécessité, comme le demande le secrétaire général de l’ONU, « de placer les femmes et les filles au centre de la riposte contre la pandémie ». Or la communication de l’AFD sur son initiative n’évoque ni l’enjeu de l’égalité femmes-hommes, ni les besoins particuliers des femmes, ni la nécessité de garantir la santé des groupes marginalisés. C’est pour cela que nous souhaitons tirer la sonnette d’alarme : ne répétons pas les erreurs du passé, alors que depuis plusieurs mois la France porte haut et fort la lutte contre les inégalités femmes-hommes !

Reconnaître la place spécifique des femmes dans les soins et assurer leur égale participation à la construction des réponses

Les dernières pandémies, dont celle à Ebola, ont montré que les femmes sont particulièrement exposées dans les crises sanitaires. Elles constituent une très grande majorité des personnes prenant en charge les soins aux malades dans le secteur formel de la santé, et encore plus au niveau communautaire et familial, souvent au risque de leur propre santé et sécurité. Dans le même temps, à cause des normes sociales inégalitaires, elles sont exclues des lieux où se prennent les décisions pour construire les réponses aux crises. Les plans d’urgence sanitaire doivent reconnaître le travail de soins fourni par les femmes et le soutenir sans l’alourdir. Plus largement, l’ensemble des réponses à la crise doit intégrer pleinement les femmes, de leur élaboration à leur mise en œuvre.

Dépasser le prisme biomédical

Les réponses aux épidémies sont souvent caractérisées par la « tyrannie de l’urgence » et se focalisent sur des besoins biomédicaux immédiats avec un fort prisme androcentrique. 

S’il y a aujourd’hui un large consensus sur le besoin d’investir davantage dans le renforcement des systèmes de santé, la nécessité de lutter contre les inégalités entre les sexes et les autres inégalités paraît moins prise en compte. De fait, ces investissements restent encore « aveugles au genre ». Pourtant, une crise sanitaire et les réponses apportées ont de nombreuses conséquences secondaires lourdes qui pèsent inégalement sur les personnes, selon leur sexe mais aussi selon d’autres caractéristiques comme leurs ressources économiques, leur origine ou leur âge. C’est ainsi, par exemple, que les mesures de confinement, de couvre-feu ou de mise en quarantaine, accroissent l’exposition des femmes et des filles aux risques de violences domestiques et intrafamiliales. La fermeture des écoles fait peser un risque de déscolarisation à long terme plus important sur les jeunes filles.

Porter une attention particulière aux DSSR

Durant les périodes d’urgence sanitaire, l’accès aux services de santé sexuelle et reproductive peut devenir beaucoup plus difficile. La faiblesse des systèmes de santé, combinée à la tentation de réorienter des budgets vers les réponses immédiates à la crise, crée un contexte très défavorable. Entre 2014 et 2016, dans toute la région affectée par le virus Ebola, les taux de mortalité maternelle ont ainsi augmenté jusqu’à plus de 75%. 

Il y a également un fort risque de retour à des vieux schémas, fondés sur des approches coercitives et conservatrices, qui renforcent les discriminations. On constate par exemple à travers le monde la multiplication de messages prônant l’abstinence sexuelle ou une stigmatisation redoublée à l’égard de populations considérées comme particulièrement vectrices du virus – les jeunes, les personnes migrantes, les personnes en situation de prostitution, etc. À la faveur de la crise, des droits fondamentaux et obtenus de haute lutte, comme les droits sexuels et reproductifs, sont à nouveaux attaqués.

Une seule option : mettre le genre au centre de la construction des réponses

Le groupe AFD souligne que le lancement de cette initiative « démontre sa réactivité et son efficacité ». Il était en effet nécessaire de concevoir rapidement une réponse, mais dans la phase d’opérationnalisation qui s’amorce, l’AFD, Expertise France et leurs partenaires ne devront pas répéter les erreurs commises par nombre d’acteurs et d’actrices par le passé. Il est impératif que dans l’opérationnalisation de ce dispositif, ces agences appliquent concrètement les principes de la politique extérieure féministe et qu’elles prennent en compte les effets directs et indirects de l’épidémie de Covid-19 sur les rapports sociaux entre les sexes. Il ne serait pas tolérable que les réponses apportées à cette crise renforcent les inégalités, en particulier les inégalités femmes-hommes. C’est en revanche l’opportunité de changer la manière de répondre aux grands enjeux auxquels notre humanité est confrontée, et c’est en tout cas ce qu’Equipop et ses partenaires attendent de l’AFD.

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